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LE PRÉSENT.

Mais Pinelli, — ce qui sans doute n’a pas peu contribué à sa réputation, — eut une existence beaucoup plus romantique que son talent. Son originalité se manifesta bien plus dans son caractère que dans ses ouvrages ; car il fut un des types les plus complets de l’artiste, tel que se le figurent les bons bourgeois, c’est-à-dire du désordre classique, de l’inspiration s’exprimant par l’inconduite et les habitudes violentes. Pinelli possédait tout le charlatanisme de l’artiste ; ses deux énormes chiens qui le suivaient partout, comme des confidents et des camarades, son gros bâton noueux, ses cadenettes qui ornaient ses joues comme des anglaises, le cabaret, la mauvaise compagnie, le parti pris de détruire fastueusement les œuvres dont on ne lui offrait pas un prix satisfaisant, tout cela faisait partie de sa réputation. Le ménage de Pinelli n’était guère mieux ordonné que la conduite du chef de la maison. Quelquefois, en rentrant chez lui, il trouvait sa femme et sa fille se prenant aux cheveux, les yeux hors de la tête, dans toute l’excitation et la furie italiennes. Pinelli trouvait cela superbe : « Arrêtez, leur criait-il, — ne bougez pas, restez ainsi ! » Et cela se métamorphosait en un dessin. On voit que Pinelli était de la race des artistes qui se promènent à travers la nature matérielle pour qu’elle vienne en aide à la paresse de leur esprit, toujours prêts à saisir leurs pinceaux. On voit aussi qu’il a plus d’un rapport avec le malheureux Léopold Robert, qui prétendait, lui aussi, trouver dans la nature, et seulement dans la nature, des sujets tout faits, qui pour des artistes plus imaginatifs n’auraient eu que la valeur de notes. Encore ces sujets, même les plus nationalement comiques et pittoresques, sont-ils toujours par Pinelli, comme par Léopold Robert, passés au crible, au tamis implacable du goût.

Pinelli a-t-il été calomnié ? Je l’ignore, mais telle est sa légende. Or, tout cela, selon moi, est signe de faiblesse. Je voudrais que l’on créât un néologisme, que l’on fabriquât un mot destiné à flétrir ce genre de poncif, le poncif dans l’allure et la conduite, ce truc qui s’introduit dans la vie des artistes comme dans leurs œuvres. D’ailleurs, je remarque que le contraire se présente fréquemment dans l’histoire et que les artistes les plus inventifs, les plus étonnants, les plus excentriques dans leurs conceptions, sont souvent des hommes dont la vie est calme et minutieusement rangée. Plusieurs d’entre ceux-là ont eu les vertus de ménage, très-développées. Rien, souvent, ne ressemble plus au parfait bourgeois que l’artiste de génie concentré.