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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/220

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LE PRÉSENT.

monté d’une corne comme celui que porte Zizime dans les Noces de Cana, par une grande ceinture et un sabre recourbé ; toujours la perruque, la belle jambe tendue, les souliers à rosettes, la cravate à nœud de satin, les manches à crevées et toute la petite oie ; si le turc est un homme tout à fait sérieux comme Acomat, et non un jeune premier comme Bajazet, il porte, sur le costume ordinaire, une ample pelisse qui fait queue par derrière. Les femmes aussi se mettaient sur la tête des turbans ou quelque coiffure extraordinaire, qui indiquaient suffisamment aux spectateurs qu’elles étaient princesses turques et non princesses grecques ou romaines. Corneille disait à Segrais, à une représentation de Bajazet : « Il n’y a pas un seul personnage, dans ce Bajazct, qui ait les sentiments qu’il doit avoir, et que l’on a à Constantinople ; ils ont tous, sous un habit turc, le sentiment qu’en a au milieu de la France. » Nous qui n’avons pas les mêmes raisons que le grand Corneille pour ètre jaloux de Racine, nous trouvons qu’à des turcs si bien vêtus le sentiment français ne messied pas.

L’habit à la romaine du xviie siècle fut conservé, à peu de chose près, pendant la première moitié du xviiie siècle. Les traditions qu’avait laissées l’excellent acteur Baron contribuaient à le maintenir, comme, de nos jours, les traditions du grand Tahna fixent pour longtemps le costume tragique. La grande perruque fut conservée, bien qu’elle ne fût plus en accord avec la mode ; le tonnelet se bourra de plus en plus, jusqu’à faire aux personnages des hanches d’un pied. Le costume des femmes se modifia davantage, suivant la mode. Adrienne Lecouvreur abandonna les grands panaches, prit la poudre, les paniers, les étoffes de soie plus légères. Elle conserva toutefois le corps de brocart et la jupe de dessus, qui continua à s’étendre derrière elle en manteau de cour.

C’est ainsi que furent jouées, à leur apparition, Brutus, Zaïre, la Mort de César, Mérope, Sémiramis, Oreste. Avec les costumes sous lesquels avaient brillé, en leur nouveauté, les pièces de Racine, les acteurs gardaient la déclamation majestueuse, toujours préoccupés de faire valoir le vers et de réciter proprement des couplets. Voltaire, qui avait pour Racine une admiration exclusive, les encourageait dans le respect de la tradition. Toutefois, la mesure de la seconde moitié du grand siècle se perdait fatalement, et de même que les acteurs avaient enflé leurs hanches, ils enflaient leur débit et leur geste, et fatiguaient le spectateur par un éclat et une fougue monotones. Il y avait, d’eux à Baron, la même distance que de Voltaire, poëte tragique, à Racine. Ce fut seulement vers 1755 que Lekain et Mlle Clairon parvinrent à modifier les habits tragiques, et avec eux la mimique et la déclamation. Cette réforme contient en germe la réforme de Talma, et les idées au nom desquelles elle fut faite sont identiques aux siennes. Voici le récit de Marmontel, Talma aurait signé toutes les opinions sur l’art théâtral qui y sont émises :

« Il y avait longtemps que, sur la manière de déclamer les vers tragiques, j’é-