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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/222

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LE PRÉSENT.

fait. Vous me verrez ici, dans huit jours, jouer Électre au naturel, comme je viens de jouer Roxane. »

« C’était l’Électre de Crébillon. Au lieu du panier ridicule et de l’ample robe de deuil qu’on lui avait vus dans ce rôle, elle y parut en simple habit d’esclave échevelée, et les bras chargés de longues chaînes. Elle y fut admirable ; et, quelque temps après, elle fut plus sublime encore dans l’Électre de Voltaire. Ce rôle, que Voltaire lui avait fait déclamer avec une lamentation continuelle et monotone, parlé plus naturellement, acquit une beauté inconnue à lui-même, puisqu’on le lui entendant jouer sur son théâtre de Ferney, où elle l’alla voir, il s’écria, baigné de larmes et transporté d’admiration : « Ce n’est pas moi qui ai fait cela, c’est elle ; elle a créé le rôle. » Et, en effet, par les nuances infinies qu’elle y avait mises, par l’expression qu’elle donnait aux passions dont ce rôle est rempli, c’était peut-être celui de tous où elle était le plus étonnante.

« Paris, comme Versailles, reconnut dans ces changements le véritable accent tragique et le nouveau degré de vraisemblance que donnait à l’action théâtrale le costume bien observé. Ainsi, dès lors, tous les acteurs furent forcés d’abandonner ces tonnelets, ces gants à franges, ces perruques volumineuses, ces chapeaux à plumets, et tout cet attirail fantasque qui depuis si longtemps choquait la vue des gens de goût. Lekain lui-même suivit l’exemple de Mlle Clairon, et dès ce moment-là leurs talents, perfectionnés furent en émulation et digues rivaux l’un de l’autre. »

Rien qu’à lire ce récit, d’un style si facile, rien qu’à le comparer au style de Racine dans ses Lettres si apprêtées et si écrites, quelque intimes qu’elles puissent être, on voit que tout est changé, et qu’en littérature comme en philosophie une nouvelle génération est venue qui a perdu le sentiment des pompes et des grandeurs monarchiques. Voltaire, qui a formé cette génération, n’en est pas. Il a déjà pour Marmontel je ne sais quoi de vieillot : il déclame avec majesté et impose son débit aux acteurs. Il a subi, lui, l’éblouissement du grand siècle, il s’est senti écolier devant Racine et en a fait son dieu littéraire. Il a marché dans sa ligne, il a cherché cette mesure parfaite, cette combinaison heureuse d’abstractions et d’images, de passion et de mélodie, unique dans l’histoire d’une langue. Quelque emphase et quelque préoccupation dogmatique qu’il ait portées dans la tragédie, il a vu grand. Mais Marmontel, lui, n’est qu’un faiseur en tragédie. Ce qu’il cherche ou du moins ce qu’il trouve, c’est un bon canevas, propre à tirer les larmes des yeux ou à faire frémir lies spectateurs. Le style est pâle, les vers sent chevillés, les pensées eommuaes, les caractères absents, mais tout est en situation. C’est au jeu des acteurs, par les nuances infinies de l’aoeentet du geste, par la variété des ajustements, à préciser ce qui n’est qu’indiqué, à créer les vêtes. Bientôt les tragédien smnt insipides à la lecture ; bientôt avec Talma l’acteur sera tout, l’auteur rien. L’effet produit par Talma prononçant le fameux