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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/224

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LE PRÉSENT.

plus souvent ramenée par devant et passée dans la ceinture. Joad, en sa qualité de prêtre, porte un haut chapeau pointu, pareil à celui des médecins de Monsieur de Pourceaugnac. Tous ces costumes turcs en satin broché sont d’une grande richesse, avec des plis et des replis très-exagérés. Beaucoup d’entre eux seraient encore aujourd’hui fort bien acceptés du public. Le costume moyen âge a pour signe distinctif un pourpoint de satin à basques et un court manteau sans manches, fixé au dos comme le petit manteau d’abbé ; toujours la culotte de velours, les bas de soie et les souliers à talons rouges. Quand les acteurs portent des cuirassés, ce sont des armures de parade conçues sur le modèle de ces portraits ovales des grands personnages du xviiie siècle que chacun, hélas ! peut aujourd’hui marchander sur les quais. Pour comprendre que de pareils costumes aient pu paraître bien observés, non-seulement au gros du public, mais à ceux qui s’appelaient et qui étaient gens de goût comme Marmontel, il faut se rappeler où en était l’histoire, Se souvenir de cet aimable abbé Velly, qui la restaurait vers le même temps et de la même façon que Mlle Clairon restaurait le costume tragique, historien galant et de bon ton qui « sut rendre fort agréable le chaos de nos premières dynasties. » Talma, du reste, qui eut à un si haut degré le sentiment du costume antique, n’eut pas celui des costumes moyen âge. Il confond volontiers toutes les époques, ou trouve moyen, comme les peintres de son temps qui lui servaient de modèles et de conseillers, d’être faux avec des détails presque justes. Il ne fit guère que remplacer le moyen âge coquet, galant, conforme aux origines monarchiques de la tragédie française, par ce moyen âge gourmé et troubadour que les romantiques ont flétri depuis sous le nom de moyen âge abricot.

Les costumes antiques, de beaucoup les plus importants dans la tragédie, acquirent souvent avec Lekain une exactitude suffisante. Je dis souvent, car il y a une grande inégalité dans la vérité des habits de ce temps. Les uns sont ou nous paraîtraient tout à fait ridicules ; d’autres, au contraire, sont ajustés avec beaucoup de soin et de grandeur. Je citerai, comme exemple, l’habit de Lekain dans Rhadamiste. Il est vraiment d’un beau caractère, tout en gardant la soie, le velours et la fourrure : cette richesse, ces plis cassés, ce chatoiement tout à fait de mise pour des anciens qui s’appellent monseigneur et madame. La seule chose qui nous choquerait avec raison dans ce costume c’est la coiffure ; n’oublions pas toutefois que les anciens connaissaient les perruques et la poudre[1].

Les costumes antiques gardèrent ce caractère jusqu’au jour où Talma commença, en 1789, une lutte qui devait durer longtemps, jusqu’au jour où il parut, dans le rôle de Proculus, avec cette tenue sévère qui fit dire à Mlle Contat effrayée : « Ah ! mon Dieu ! il a l’air d’une statue. » — Ce cri de l’instinct féminin fut con-

  1. La poudre d’or, à cause de leur préférence pour les cheveux roux.