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CHRONIQUE.

brûlé par la fièvre. En vain il se tournait et se retournait sur son méchant lit le sommeil n’arrivait pas. Une rage de dents vient le prendre. Il n’y tient plus-Des frissons glaces courent le long de son corps. Un fagot est là dans le coin de la chambre. Il le jette dans la cheminée, met le feu, et au reflet de l’incendie, allume l’éclair de sa phrase. La plume lui brûle les mains, il écrit, il écrit, et le matin l’article était fini.

À quelque temps de là, il sortait d’un cabinet de lecture situé rue Mazarine ou des Saints-Pères ; une autre personne se lève en même temps. Planche croit entendre l’inconnu demander son nom à la dame de comptoir. C’était vrai. Dans la rue il est accosté par un petit homme à perruque rousse, avec un œil de verre. — C’est vous qui êtes M. Planche. — Oui, monsieur. — Moi, je suis M. de Latouche. Vous avez écrit sur moi un article ; — Monsieur, dit Planche, je suis pressé. Voici mon adresse. Choisissez deux hommes, j’en aurai deux. Votre très-humble. Et il partit. M. de Latouche ne vint pas, et les deux hommes de Planche attendirent inutilement. Je dois dire que Latouche me paraît avoir été un homme aussi brave qu’intelligent, fort décidé, très-résolu. Le silence qu’il garda dans cette occasion, je ne sais trop à quoi l’attribuer. Il comprit sans doute qu’il commettait une faute en se reconnaissant dans cet il fameux qui est le héros de l’article, et les affaires en restèrent là. Je crois même que depuis les deux écrivains ne se sont jamais rencontrés.

Beaucoup d’articles de Planche se ressentent des circonstances dans lesquelles il les écrivait. Nous l’avons vu pour quelques-uns, c’est vrai pour bien d’autres. Il en est un qui fut composé aussi dans un moment de tristesse, un jour de misère, Dieu sait cependant s’il est empreint de calme et de sérénité. Un matin, le critique n’avait pas de quoi déjeuner. Il entre au café Tabouret, plutôt là qu’ailleurs, parce que le maître de l’établissement avait pu le voir quelquefois, et que le quart d’heure de Rabelais serait moins dangereux. Mais ces petits ennuis et ces craintes mesquines faisaient mourir cet honnête homme à petit feu. Il ne mange pas, demande du thé, encre et papier ; le voilà avalant coup sur coup quatre ou cinq tasses de thé noir, d’une main trempant un gâteau dans sa tasse, de l’autre plongeant sa plume dans l’encrier. À trois heures de l’après-midi il n’y avait plus de thé dans la théière, ni d’encre dans l’écritoire. Il avait fini son papier, et gagné sa consommation. L’article sur Adolphe était fait.

N’est-ce pas un triste spectacle que celui de cette intelligence tourmentée, de ce cœur dévoré par des souffrances sans grandeur ! Non, cet homme n’était pas mauvais, ce n’était pas l’envie qui le faisait cruel et impitoyable, les petits sentiments ne dictaient pas ses grands articles ; s’il fut quelquefois chagrin et passionné en maniant la plume, c’est que la misère était là, une misère triste, affreuse, inflexible. Il appartient, lui l’homme sage, froid et pratique, à la race des poètes tués par la faim. Il est de la famille de Gérard de Nerval. Du reste, il y pensait