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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/258

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LE PRÉSENT.

d’un navire ; les plus heureux étaient menacés de l’échafaud, et on leur faisait un tel tableau de leur infamie, qu’ils n’osaient plus lever la tête, et embrasser leur petite cousine ! Et ces chants d’Homère à copier, et ces heures d’arrêt, l’hiver, par le mauvais temps, quand il fallait, comme une sentinelle au seuil du bivouac, se coller contre l’arbre fendu par le froid, l’onglée aux doigts et la rage au cœur ! Alors même qu’on n’était pas uni, quelle vie douloureuse et triste ! L’un de mes amis que les hasards de la politique firent jadis condamner à la détention me disait qu’entre le collège et la prison il n’hésiterait pas. Au collège, comme à Doullens, il n’avait pas sa liberté. Mais en prison les gardiens avaient pour lui des égards ; au collège, son petit amour-propre de quinze ans saignait chaque matin, et il gardait de ce temps des spuvenirs amers et tristes.

Les larmes me sdht venues aux yeux, et la rage m’est montée au cœur, le jour où j’ai lu qu’un enfant de douze ans s’était suicidé en avalant un sou couvert de vert-de-gris, parce que le maître l’avait puni injustement et jeté pour trois jours au séquestre, ces plombs de Venise du collège ! Vous le voyez, on peut souffrir autant qu’un homme. On en meurt quelquefois ! À douze ans on se tue, on avale un vieux sou comme Gilbert avalait une clef. Oh ! je comprends maintenant les folles espérances que nourrissait quelquefois ma bande au collège de Saint-Étienne. Nous avions acheté à prix d’or, — pour la somme fabuleuse de vingt-neuf sous, — le Collège incendié. Que de fois, grand Dieu ! avons-nous demandé au ciel que le feu prit dans une étude, que les flammes anéantissent la maison, brûlassent tout comme au Moniteur, Selectœ e profanis, Gradus ad Parnassum, Lafontaine annoté par M. Gérusez, tous les Dézobry et Madeleine, Hachette et Delalain, pour qu’on nous renvoyât à nos familles, et qu’on fît grâce des pensums ! Et pourtant il faut des collèges, des Selectœ, des maîtres d’études et des professeurs ! Hélas ! on a besoin d’aller en retenue, de faire des lignes. C’est nécessaire à l’existence ! La rentrée, des classes est fixée au lundi 6 octobre ! voilà la phrase qui arrive toujours comme une menace, qui, comme le spectre de Banqui, la statue du Commandeur, vient troubler la fête. Vous rappelez-vous comme elle tombait sonore et claire de la bouche du vieux censeur ? U y mettait même un peu de malice, et fermait en souriant, comme un méchant voltairieo qu’il était, ce cahier recouvert de vert, de jaune ou de rose, qu’on appelait dans ma petite ville un palmarès. Le lundi 6 octobre 1857, je les ai donc vus retourner à l’étude, et l’élève Galuchet m’a jeté en passant une boulette de papier mâché, de lui pardonne ; mais je l’engage à ne pas prendre au pied de la lettre tout ce que j’ai dit du collége, à ne pas mettre le feu à Charlemagne, et puisqu’on est si mal aux arrêts, si triste en retenue, à faire ses devoirs et à travailler maintenant pour avoir moins à faire plus tard.

Me voici tout heureux ! J’ai eu une petite vengeance. J’ai dit mon sentiment sur le collége ; j’ai conquis à mes opinions tous les moutards de mon pays, et