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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/275

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ROMÉO II.

— Et pourquoi cela ? dit M. Duprat.

— Parce que je ne l’aime pas, dit Mathieu, et parce que mon cœur appartient à une autre.

Malgré les injonctions les plus pressantes, M. Duprat ne put obtenir de son fils qu’il le fixât au sujet de la belle qui l’aveuglait à ce point de le laisser insensible aux charmes de sa cousine. Il fut obligé de rompre l’entretien sans rien savoir. Son esprit, aux prises avec ce mystère, enfanta mille inquiétudes. Déjà il voyait son fils destiné à devenir la proie d’une de ces affections morales bien plus redoutables que les maladies du corps, en ce que contre celle-là on n’élève de médecins dans aucune Faculté. Les idées les plus bizarres lui passèrent par la tête. L’isolement trop absolu qu’on avait imposé à Mathieu pouvait être la cause et presque l’excuse de quelque attachement ridicule et nuisible qu’il lui serait peut-être impossible de briser, sans faire le désespoir de celui qu’il voulait sauver. Si on ajoute à cette inquiétude l’embarras qu’il éprouvait à instruire madame Casimir de ce qu’il venait d’apprendre, on se fera une juste idée de sa situation.

Madame Casimir, ne le voyant pas apparaître, vint au-devant de lui.

— Eh bien, qu’avez-vous à m’apprendre ?

— Rien de satisfaisant.

— Mais enfin pourquoi Mathieu est-il plongé dans une pareille torpeur ?

— Parce qu’il aime…

— Une autre fille que la mienne ? Mais c’est impossible ; c’est injurieux, c’est inconvenant.

— C’est tout ce que vous voudrez, mais c’est comme cela.

— Eh bien, j’en prends mon parti. Appelez Mathieu ; je veux lui dire ce que j’ai sur la conscience.

Mathieu, toujours aussi calme qu’auparavant, apparut devant sa tante exaspérée. Ce contraste rappelait celui de la mer en fureur avec le rocher contre lequel ses vagues viennent se briser. Il essuya les éclairs de ses imprécations sans se départir du respect qu’il devait à un grand parent ; il écouta sans le moindre murmure la série des suppositions plus ou moins blessantes qui furent données pour cause de son indifférence, et il laissa sa tante lui reprocher, tant que cela lui fit plaisir, d’avoir prostitué son cœur à quelque indigne fille de marbre.