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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/278

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LE PRÉSENT.

sur des livres, Mathieu qui, plus absorbé que tous ses voisins, dévorait Roméo et Juliette. Un employé de la bibliothèque certifia que, depuis plus de deux ans, Mathieu venait chaque jour s’installer à la table où il était assis, et lire ce même livre.

Il observa avec une grande attention les émotions qué cette lecture faisait passer sur la figure de Mathieu, et, en peu d’instants, il fut fixé sur la véritable cause qui le portait à consacrer, pour ainsi dire, toute sa force vitale à cette méditation uniforme.

Le jour suivant, il revint à la bibliothèque, bien certain de retrouver Mathieu à la même place, et bien décidé, cette fois, à l’aborder et à commencer l’opération à l’aide de laquelle il devait le guérîr.

— Jeune homme, dit-il à Mathieu en lui frappant doucement sur l’épaule, pourquoi lisez-vous toujours ce même livre ?

Mathieu, comme révéillé en sursaut, resta un moment interdit, il jeta les yeux sur son interrupteur, puis les baissa et continua sa lecture.

Alors le docteur, insistant, le pria une seconde fois de lui dire pourquoi il lisait sans cesse Roméo et Juliette.

— Répondez-moi, je vous en prie, et songez que, si vous ne me dites pas la vérité, je la dirai pour vous. Je sais tout ce qui se passe dans votre esprit et dans votre cœur.

— Vous êtes donc un sorcier, monsieur ? reprit Mathieu.

— Peut-être bien ; ce qui ne m’empêche pas d’être aussi votre ami, ainsi que vous ne tarderez pas à le reconnaître. Ne voyez en moi ni un importun, ni un indiscret qui se propose de divulguer et de profaner la pensée mystérieuse, l’attrait caché que vous trouvez dans un culte trop fervent pour une image insaisissable, dont l’influence sur vous est telle, qu’elle vous a fait tout oublier ici-bas.

Ces paroles, jetées sans préambule, impressionnèrent vivement Mathieu, qui ne pouvait s’expliquer comment il se faisait qu’un étranger pût être si bien initié à un secret, qu’il ne croyait connu de personne.

— Mais comment avez-vous pu ravir mes secrets ? dit-il au docteur ; la conscience est un sanctuaire où il n’est pas permis d’entrer. Éloignez-vous, monsieur, et n’allez pas plus loin.

Vade Tetro, Satanas ! reprit ironiquement le docteur.