Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
21
L’INDE ANTIQUE.

de ce que tu ne vois pas, n’aie souci que de l’heure présente. Le glorieux Tchsoupa, fils spirituel de Brahma, l’illustre Kchvakou et tant d’autres, tes magnanimes ancêtres, suprêmes pasteurs des hommes, délaissant leurs fils chéris et leurs douces épouses, sont tombés au pouvoir de la mort. Nul ne sait où ils sont allés, pas plus qu’on ne sait où sont les génies de la terre et du ciel et les démons de la nuit ; tant ce monde est plein d’illusions ! De ces rois, de ces héros, il ne reste maintenant que le nom, et chacun les croit là où il désire qu’ils soient. Ainsi il n’y a ici-bas nulle base stable où puisse reposer l’univers. Ceci est le meilleur des mondes ; c’est le seul. Savoure donc ses plaisirs. Tous ceux qui ont pour but le devoir ne parviennent pas à la félicité ; ils sont même parfois très-malheureux, les hommes dévoués au devoir, et l’on voit souvent très-heureux les hommes qui le méconnaissent. Il n’y a d’évident ici-bas que le trouble et la confusion ; etc., etc. »

Nous n’avons pas à rechercher si ce curieux morceau appartient au poëme primitif, ou s’il n’est qu’une de ces interpolations éhontées dont a tant souffert, dans la suite des âges, la grande œuvre de Valmiki. Il nous suffit de constater que, par sa forme rude, son style archaïque, il appartient à une époque plus ancienne que le Bhagavadgita, qui lui-même date de plusieurs siècles avant l’ère chrétienne ; et, concluant de l’infamie de la doctrine à l’infamie des mœurs de la génération qui la vit se développer comme un oracle d’un des grands intrerprètes de ce sacerdoce devant lequel s’inclinaient toutes les têtes, toutes les consciences, à l’infamie de la société qui l’entendit déclamer et chanter par les rapsodes, en manière d’hymne sacré, aux jours des pompes saintes, dans les palais de ses rois, dans les temples de ses dieux, ne sommes-nous pas autorisés à avancer, comme un fait constaté, que dès cet âge reculé le brahmanisme avait terminé son évolution logique et que sa sève épuisée ne pouvait plus engendrer que marasme et que corruption ?

C’est, au reste, ce que prouve surabondamment la réforme boudhique, dont l’éclosion eut lieu dans le même temps (550 à 600 ans avant Jésus-Christ).

F. de Lanoye.