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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/338

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LE PRÉSENT.

chef d’escadre ne dussent concorder avec les ordres particuliers qu’il avait lui-même reçus. Mais il était loin d’en être ainsi.

Les pouvoirs respectifs dont ils étaient revêtus impliquaient même une collision inévitable. L’esprit impétueux de Dupleix, le sentiment de son incontestable supériorité et son expérience spéciale des affaires dans l’Inde, entraînaient une suprématie de direction que le caractère opiniâtre et emporté de La Bourdonnais ne pouvait reconnaître. Gouverneur général des îles, chargé du commandement exclusif de l’escadre de secours, ce dernier se considérait comme étant au moins l’égal du chef de la nation sur un point de la côte du Karnatik. De là l’erreur qui le perdit. Excellent administrateur à l’Île-de-France et à Bourbon, brave, ferme, plein d’initiative et de ressources comme marin et comme soldat, il ne possédait ni l’universalité d’aptitudes ni le génie politique de Dupleix. Son unique but dans cette dernière expédition était de combattre l’escadre ennemie et de ruiner le commerce anglais par des courses et des croisières. S’il eût consenti à se renfermer dans ces limites d’action, jamais son autorité n’eût été traversée ; mais il voulut tout diriger sur terre et sur mer. L’intérêt vital de l’Inde française eût été lésé. Dupleix, en sacrifiant La Bourdonnais, usa de son droit et remplit son devoir. Les sentiments d’envie dont on le soupçonna n’avaient aucune raison d’être : il ne pouvait rien envier, car la gloire qu’il ambitionnait était d’un ordre supérieur aux succès militaires, quoiqu’il dût prouver plus tard qu’aux plus hautes conceptions de l’homme d’État il unissait au besoin l’intelligence spéciale de l’homme de guerre.

L’arrivée de l’escadre, promptement connue, avait engagé toute la marine marchande anglaise à se retirer sous le canon des comptoirs. Les croisières et les courses devenaient sans objet, aussi longtemps que les forces ennemies tiendraient la mer. Il était même indispensable de les combattre et de les détruire, avant de tenter des expéditions contre les entrepôts fortifiés de la côte. Telle fut la première objection de Dupleix au siége de Madras. La Bourdonnais offrit alors d’aller à la recherche des vaisseaux anglais, avec un renfort de soixante canons enlevés aux murailles de Pondichéry. Dupleix refusa de dégarnir la place. L’alternative d’une défaite navale eût livré la ville sans défense à l’ennemi et sacrifié jusqu’aux restes de l’escadre dispersée. La Bourdonnais, profondément blessé, reprit la mer, rencontra les Anglais qui