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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/353

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CRITIQUE.

resque, les ennemis de Mazarin n’étaient que des partisans plus ou moins aveugles du passé. Quant au cardinal qui, les yeux tournés vers l’avenir, voyait plus loin et plus juste, il avait à son service l’épée victorieuse du jeune duc d’Enghien, qu’il secondait de son côté à merveille. Que pouvaient donc contre lui les menées des Importants, lorsque le pays prospérait, lorsque le ministre régnait de plus en plus sur l’esprit et sur le cœur de sa souveraine ? C’est ce que madame de Chevreuse reconnut à ses dépens par les froideurs d’Anne d’Autriche, qui, blessée des difficultés qu’elle suscitait à son gouvernement, ne tarda pas à l’éloigner de sa personne. Cette grande dame, amie de l’influence et du bruit, se vit tout aussitôt punie par la solitude et le silence qui se firent autour d’elle dans sa vaste et magnifique demeure. N’ayant plus pour l’appuyer le bras de la reine qu’elle n’avait jadis que trop servie, elle sentit qu’elle avait perdu son principal prestige. Vainement, dans l’amertume où la jeta cette disgrâce si peu attendue, elle resserra ses liens avec les factieux. Ces impuissantes agitations n’aboutirent qu’à une nouvelle fuite pour madame de Chevreuse, qui, demandant une fois encore asile à l’étranger, retrouva comme toujours son courage pour faire face à de nombreuses traverses (1644).

Mais si sa beauté n’avait point péri (on assure qu’elle en conserva des traces jusqu’en 1657), elle avait franchi cet âge où le poëte doit cesser de chanter selon Ronsard, où la femme cesse de dominer par l’éclat de ses charmes. Le progrès des années pouvait lui rendre les peines de l’exil plus sensibles. Toutefois elle ne voulut pas acheter son retour au prix de ce qu’elle considérait comme son honneur. Fidèle au parti de l’opposition, elle renouvela contre Mazarin, avec une ardeur qui n’avait point vieilli, ses attaques au temps de la Fronde. Elle joua même un des principaux rôles, dans cette singulière campagne, où la galanterie assaisonnait l’esprit guerrier. C’était finir d’une manière digne d’elle. Ce fut en effet le terme de la période turbulente de sa vie. Aussi bien, lorsque dans cette échauffourée, vaincue par le ridicule, s’exhalaient les derniers souffles de l’indépendance féodale, le moment était venu où il n’y avait plus place en France que pour un pouvoir, le pouvoirroyal, madame de Chevreuse lecomprit, et elle reconnut l’ascendant de l’heureux ministre qui préparait la toute-puissance de Louis XIV. Peu rancunier de sa nature, Mazarin ne mit dès lors aucun obstacle à la rentrée de l’intrépide duchesse qu’il ne laissait pas de surveiller, la citant parmi les trois femmes de France « qui seraient capables de gouverner ou de bouleverser trois grands royaumes. » Les deux autres étaient, selon lui, la duchesse de Longueville et la princesse Palatine.

On sait la manière édifiante dont ces deux dernières finirent une carrière agitée. Quant à madame de Chevreuse, tout annonce aussi que, suivant le langage de Bossuet, « le vide des choses humaines se fit sentir à son cœur. » Pour elle, comme à l’égard de la Palatine, dont le grand orateur prononça l’oraison funèbre, on peut d’ailleurs se demander : « Que lui servirent ses rares talents ? » On a remarqué de son temps qu’elle porta malheur à tous ceux qui l’aimèrent, et elle partagea