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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/368

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LE PRÉSENT.

idée d’un jour, je ferais assez, ce me semble, et, s’il vous revient d’aventure un parfum des années perdues, vous ne devez pas m’en vouloir d’avoir battu, la plume en main, le champ de ma jeunesse, pour faire lever un malheureux souvenir. Et d’ailleurs, je puis le dire, je n’ai guère eu de joies plus grandes et d’émotions plus fortes. Mes bottes ont été le berceau de ma virilité, et quand, depuis, j’ai manié mon fusil, mon bonheur a été moins grand qu’au jour où j’allai l’essayer dans le jardin du vieux capitaine, qui me disait toujours que l’Empereur n’était pas mort.

C’était alors le bon temps ! Il ne fallait pas nécessairement, pour chasser, le port d’armes que ces messieurs de la gendarmei ie demandent maintenant au premier moutard, armé d’un fusil d’étiennes, qui court apres les malheureuses bergeronnettes autour de la maison. Il y avait encore des gardes champêtres, bêtes, complaisants et doux, qui donnaient aux gamins l’adresse d’un moineau, et laissaient les notaires en vacances poursuivre les perdrix grises ou rouges le long des champs et dans la bruyère. Le gendarme ne tenait pas trop à gagner la prime, et hésitait volontiers à franchir les haies pour saisir le délinquant. Il avait bu la veille avec le propriétaire Tout se passait comme en famille, et l’on vivait à l’aise. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Oh ! le gendarme a bien changé ! Je vous le dis en vérité, il n’y aura plus, sous le bicorne, tant de douceur et de bonté. Vous en souvenez-vous ? En arrivant dans le village ou dans le bourg, on le voyait, debout dans le chemin, fumant d’un air mélancolique une pipe qui n’était ni assez longue ni assez courte ; son baudrier jaune faisait un drôle d’effet sur sa longue tunique, mais sa figure était si calme, il causait d’un air si honnête avec le garçon d’écurie, ou d’un air si poli avec le médecin ; il semblait si bien avec Hippolyte le pied bot, ou Charles Bovary, qu’on ne pouvait se figurer qu’il fût sur cette terre le représentant de la force, la justice du roi. Et puis, dans la caserne, il avait un jardin qu’il soignait, comme une pensionnaire son carré de fleurs ! un petit jardin, des enfants roses et bavards comme les vôtres, une femme jolie et bonne comme ma fiancée. — Mon Dieu, oui ! le brigadier était leur père, à tous ces pauvres diables ! et les honnêtes gens étaient tous leurs amis. Ils ont bien encore, maintenant, un jardin, une femme et des enfants, mais la naïveté des premiers jours s’est envolée. La femme se croit aujourd’hui, le gendarme se croit aussi. Il fait du zèle. Il apporte à présent, à la poursuite de l’honnête chasseur, l’ardeur et la colère qu’il mettait à traquer les braconniers dangereux. Et l’on ne l’aime plus autant dans le village, et, quand un coup de fusil, parti à minuit d’un buisson, a traversé un baudrier, troué une poitrine, on ne plaint plus la victime. Il s’est posé en ennemi. On n’a plus de pitié. Le gendarme est mort ; il ne reste, pour représenter ici-bas la vertu modeste, il ne reste que le sapeur. — Si jamais la sainte douceur et la chaste bonté étaient bannies de la terre, on les retrouverait dans ses moustaches : — c’est le bon cœur et la barbe de Jésus-Christ tirés à