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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/370

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LE PRÉSENT.

amant. Le goujon ne mord pas toujours à l’hameçon, mais les coquettes mordent au compliment ; — de compliment en compliment on arrive au bout du verger, derrière le buisson parfumé, et l’on embrasse Arthur par-dessus les roses. Il faudrait donc aussi ne pas aller à la pêche, et rester éternellement dans son coin ! Dieu merci ! il y a encore de saintes femmes, chastes et pures, qui savent aimer leur mari et lui faire comme une couronne de leurs vertus.

Je n’ai donc plus qu’à chercher cette canne à ligne que m’a léguée mon vieux professeur de septième, et à suspendre le fusil au-dessus de la cheminée. Si pourtant elle m’invitait encore à passer huit jours au château, comme il serait bientôt luisant, et qu’il pèserait peu sur mon dos, le cadeau du vieil oncle ! Ce serait cette fois la chasse seigneuriale, la grande chasse comme celle du roi, flétrissant l’herbe, écrasant les blés. Mais la châtelaine est si riche, si riche et si charitable ! C’est sur ses terres, dans ses champs et ses bois que la troupe des chasseurs s’égare et que les chevaux, tout fumants, font voler la terre sous leur sabut. Elle dédommage bien le fermier, elle envoie un trousseau pour son nouveau-né à la femme du garde, et la troupe de ses invités n’est pas maudite le lendemain comme l’était la cour de Louis XV. C’est encore une reine, mais les diamants de sa couronne sent des bienfaits, et, dans sa robe d’amazone, elle a la grâce et la majesté des reines sous leur manteau brodé. Vous trouvez, n’est-ce pas, que je vais bien loin ? je lui donne trop de millions, de grâces et de vertus. Peut-être je me trompe, mais laissez-moi ne pas y songer. Je veux garder mes illusions, et me souvenir seulement qu’un jour elle m’a souri doucement, et que j’osai baiser sa main quand elle la mettait dans la mienne pour sauter à bas de sa jument noire I Tout y était, comme vous voyez ! la jument noire si connue qu’on monte toujours dans les romans ! Comment ne pas perdre la tête ? Joignons à tout cela que j’avais à peine seize ans, que, grâce à Dieu, j’avais failli mourir huit jours avant. J’avais, sous de longs cheveux noirs, le visage assez pâle, les joues caves et l’œil ardent de tous les héros de roman à quatre sous Et puis, je suis un plébéien. À cette époque, époque de trouble et d’agitation, je posais assez bien en petit génie de la révolte, et déjà je faisais des vers ! » C’était plus qu’il ne fallait pour me faire croire que je l’aimais, qu’elle aussi m’aimerait un jour, que je serais son maître et qu’un soir elk viendrait me dire, haletante, éperdue ;… Je suis à toi ! Heureux gamin !

Hé non ! elle ne m’aima point ! elle s’amusa pendant un mois du pauvre bachelier, mais avec ce bon goût et cette charité généreuse qu’ont les femmes bien nées. Voyez comme elles sont ! Elle y mit même un peu de coquetterie, et un matin elle attacha à son chapeau noir d’amazone le petit bouquet humide de rosée et de larmes que j’avais cueilli pour elle en m’écorchant les doigts. Etais-je assez beareux ce jour-là ! On devait chasser le sanglier. Tous les gentilshommes des environs, cinq Parisiens, dont l’un portait un nom bien connu dans les lettres, quelques jeunes femmes hardies et curieuses, étaient réunis dans la cour du château. Les