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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/444

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LE PRÉSENT.

arrière-pensée des deux Compagnies, puisque leurs intérêts, forcément liés à ceux des chefs indigènes qui les protégeaient, leur faisaient une loi de prendre une part active à leurs querelles. En face des résultats produits par la mission de Godeheu, le doute à cet égard n’était plus possible. Il avait fallu, il est vrai, subir nombre de désastres et d’humiliations pour en venir à cette conviction ; mais enfin la lumière paraissait s’être faite. On résolut de renoncer à jamais aux négociations stériles qui, jusqu’alors, n’avaient réussi qu’à tout compromettre, et de frapper un coup décisif. Lally était parti de Brest le 20 février 1757.

Le comte Thomas Arthur de Lally, lieutenant général des armées royales, grand-croix de Saint-Louis, était originaire d’Irlande. Sa famille avait suivi Jacques II en France. Colonel à Fontenoy, où il s’était brillamment conduit, il passait pour un officier du plus haut mérite, bien qu’il n’eût encore jamais commandé en chef. Le ministère et la Compagnie, séduits par son grade élevé et connaissant sa haine pour l’Angleterre, lui offrirent le commandement général de nos établissements, avec des pouvoirs illimités, une escadre de onze vaisseaux portant trois mille hommes de débarquement et quatre millions de livres destinés à ses premières opérations. Jamais un tel secours n’avait été envoyé dans l’Inde. Ces forces étaient plus que suffisantes, non-seulement pour conserver toute la côte de Coromandel, où les Anglais n’avaient pas quatre cents soldats européens, mais encore pour les chasser à jamais du Bengale. Si le choix du gouvernement se fût arrêté sur Bussy, que sa longue expérience politique et son intelligence de la guerre en Orient lui désignaient naturellement, nous eussions assurément triomphé avec de tels renforts ; mais notre destinée était tout autre. Le chevalier de Soupire, à la tête de onze cents hommes, avait précédé de quelques mois l’escadre commandée par le comte d’Aché, qui mouilla devant Pondichéry le 28 avril 1758.

Lally venait dans l’Inde animé du plus profond mépris pour tous ceux qui en dirigeaient les affaires. Parfaitement ignorant de tout ce dont il eût été indispensable qu’il fût instruit, il s’imaginait volontiers que nos guerres orientales n’étaient qu’une suite de pillages irréguliers. Les millions de Dupleix et la grande fortune de Bussy lui paraissaient, à cet égard, des preuves sans réplique de sa perspicacité. Chef absolu, revêtu d’un pouvoir supérieur à celui de Duval de Leyrit, et,