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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/471

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LA PHILOSOPHIE DE MON ONCLE.

été baignés dansla vraie lumière, je ne vais plus à tâtons, je ne m’égare plus, je ne me jette plus tête baissée dans des espérances inutiles ou mensongères, et j’attends en paix le dernier voyage. Je ne suis pas pressé, non, non, pas pressé : je suis patient, je suis immortel.

— Tout cela est fort beau, mon cher oncle, mais vous n’êtes heureux que parce que vous êtes riche, ou à l’aise, comme vous diriez. Vous m’avez tout à l’heure grondé de rechercher la fortune ; mais si demain un hasard vous ôtait vos rentes, que deviendrait cette philosophie dont vous semblez si fier ? Il y a sur la terre beaucoup de pauvres, auxquels le bonheur est interdit, comme la vue du ciel aux damnés, qui naissent dans la pauvreté, vivent dans les labeurs les plus rudes et meurent sans un sou pour payer leur cercueil.

— Tu vas troubler ma digestion, Octave. Je n’aime pas à savoir que d’autres souffrent, mais je ne suis point saint Vincent de Paul et ne peux pas consoler tous les affligés.

— Vous allez trop loin.

En ce moment on frappa à ma porte : c’était mon concierge qui m’apportait une lettre.

— Tiens ! une lettre de Valentin !

— Encore un rêveur ! reprit mon oncle, un faiseur de vers, un poëte, comme tu dirais. De quoi te parle-t-il ? Il veut de l’argent, je parie ?

— Vous vous trompez, mon oncle, écoutez.

Je lus d’une voix émue :


« Mon cher ami, je prends demain le paquebot au Havre : le métier d’homme de lettres est trop coûteux. Je vais faire la contrebande à l’isthme de Panama ; là, je tuerai le temps et les douaniers, s’il y en a. Avant de partir, deux mots. La belle Ernestine est ruinée. Ses parents, des gens sans littérature, ont joué sur la Gastronomie, ils en ont perdu l’appétit, et, à quelques mille francs près, ils sont aussi pauvres que moi. Le bonhomme de père, un bonhomme du Vaudeville, te trouve, à cette heure, charmant, et il sait que tu as un oncle… »

— Va toujours.

« On voudrait bien te tenir encore ; on se mord les doigts de t’a-