Aller au contenu

Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/503

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
483
REVUE DES COURS PUBLICS.

hasard l’a fait arriver à une chaire de lettres françaises, et le hasard n’a pas manqué d’esprit dans cette occasion, car nous lui devons une série piquante de leçons moins profondes qu’attrayantes, mais où le sel assaisonne le bon sens.

En faisant l’éloge de la comédie française et de sa persistance à travers tous les changements de notre littérature et de notre langue, M. Weiss nous dit que cette comédie s’est pliée à la phrase périodique et au style soutenu du xviie siècle avec autant d’aisance qu’à la phrase écourtée, au style vif et sautillant du xviiie. Cela est vrai. Mais en appliquant ce jugement à l’auteur lui-même, on est tenté quelquefois de regretter que sa langue, qui a de si bonnes parties, ne soit pas mêlée plus souvent de ces phrases courtes et vives du xviiie siècle, qui lui donneraient plus de rapidité. C’est une tache légère dans son style, si c’en est une. Mais pour une tache combien de beaùtés charmantes ! Quelle finesse de détails et quelle justesse dans l’originalité ! Voici un passage sur l’esprit français qui réunit à lui seul les mérites et le mince défaut que je signale :

« Figurons-nous, en étudiant les personnages de l’ancienne comédie, combien de temps s’est écoulé avant qu’un médecin, un savant, un juge, un procureur, un avocat, un notaire devinssent des hommes qui, dans la vie ordinaire, ne différassent pas trop, par leurs manières et le ton de leur langage, des autres hommes ; et nous conviendrons que d’avoir banni comme ridicule tout ce qui rebutait le bon goût comme excessif, d’avoir mis la variété à la place des disparates, effacé les saillies choquantes, amolli l’austère écorce qui prêtait aux mœurs de la haute bourgeoisie je ne sais quoi de raide et de raboteux, d’avoir créé, au-dessus des classes et des professions, cette société française, type achevé de la société élégante, où l’on ne plaît qu’en apportant comme un témoignage d’estime et de respect pour autrui le ferme désir de plaire, où l’on n’est supporté que si l’on se fait modeste, où quiconque veut être trop n’est plus rien, où il faut, pour être accueilli, que l’argent perde de sa suffisance, les grandes charges et le rang de leur orgueil, Je mérite de sa fierté susceptible, la vertu même ces airs tristes qu’elle a quelquefois et qui la gâtent, d’avoir créé cette société si polie, si appropriée à tous et en définitive si humaine, puisqu’elle a pour code la condescendance réciproque, pour ennemies les prétentions de toute espèce, pour seule arme et pour seule fonction la raillerie, cela n’est point une œuvre frivole, et telle a été chez nous l’œuvre de l’esprit. »

Chez M. Zeller, les qualités sont d’autre sorte. La hauteur des vues, la gravité du ton, la passion du juste, animent ses leçons et leur donnent un cachet sévère, qui attire les esprits sérieux. Cela éclatait surtout dans une de ses dernières leçons sur Titus et Domitien. L’un et l’autre, nés du même père, élevés à l’empire dans les mêmes conditions, régnant dans les mêmes circonstances et sur la même société, ils ont marqué surtout par leurs différences plutôt que par leur similitude. Titus disait qu’il avait perdu sa journée quand il ne la marquait point par un bienfait, et Domitien aimait à signaler la sienne par un crime. Ce mot célèbre de Titus est