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LE PRÉSENT.

vers qui élèvent l’esprit, charment le cœur, remplissent les yeux de pleurs et l’âme de sentiments élevés, fassent penser à Dieu et au ciel comme un écho des divines harmonies, suspendent toutes les générations à leur rhythme d’or et soient redits avec reconnaissance par les hommes émus et charmés, il s’agit bien de poésie. M. Veuillot n’a jamais fait que des articles et ne comprend que r article. M. Veuillot n’a jamais fait pleurer personne, mais il a fait rire quelquefois, et s’il s’entend mal à toucher d’une main légère les plaies secrètes de l’âme, à endormir d’un chant magique, comme faisaient les enchanteurs anciens, les blessures du cœur, il s’entend à merveille à frapper fort et à crier de même. Que les moineaux se taisent donc et écoutons le mugissement du bœuf stupide. C’est assez bon encore pour de misérables pécheurs.

Je ne veux point relever ici toutes les injures lancées par M. Veuillot à toutes nos gloires en particulier, et, par exemple, prendre la défense de Molière. Molière a été attaqué, mais point atteint. Je ne veux faire qu’une remarque générale. J’ai pris à tâche, depuis le commencement de cet article, de rendre à M. Veuillot ce qui appartient à M. Veuillot, et de séparer la cause de l’Église des excès et des fureurs auxquels ce journaliste s’est laissé emporter. Or, en cette question, je ne vois pas que l’Église, que les plus saints prélats, que les prêtres les plus autorisés aient pour toute littérature et toute poésie les mêmes anathèmes que M. Veuillot. Un des chefs-d’œuvre de la langue française, intitulé Lettre à l’Académie, est signé du nom de Fénelon, archevêque de Cambrai, et il est bon, après avoir lu certains articles de notre fougueux contemporain, de reprendre et de savourer de nouveau cet admirable petit traité d’éloquence et de poésie. Parmi les plus purs délassements de l’honnête homme, et je puis dire du chrétien honnête, Fénelon place l’enchantement des beaux livres et des beaux vers. Je ne crois pas qu’il ait tort. Quand on aura brûlé les bibliothèques et jeté en prison ou mis sous la surveillance de la police tous les poètes, qui nous distraira, qui nous allégera les heures pesantes, qui ouvrira la porte aux rêves aimés et chassera l’essaim des noires pensées ? Quand Saül sentait son mal prêt à exercer de nouveau sur lui ses fureurs, il faisait venir un jeune poëte, un chanteur, un joueur de harpe, et il était consolé. Je demande grâce pour David à M. Veuillot. Je demande grâce aussi pour toute cette cour si lettrée et si polie des beaux