Page:Le Rouge et le Noir.djvu/133

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Mais quoi ! s’écriait-il tout à coup en marchant d’un pas convulsif ; souffrirai-je comme si j’étais un homme de rien, un va-nu-pieds, qu’elle se moque de moi avec son amant ! Faudra-t-il que tout Verrières fasse des gorges chaudes sur ma débonnaireté ? Que n’a-t-on pas dit de Charmier (c’était un mari, notoirement trompé du pays) ? Quand on le nomme, le sourire n’est-il pas sur toutes les lèvres ? Il est bon avocat, qui est-ce qui parle jamais de son talent pour la parole ? Ah, Charmier, dit-on ! le Charmier de Bernard, on le désigne ainsi par le nom de l’homme qui fait son opprobre.

Grâce au ciel, disait M. de Rênal dans d’autres moments, je n’ai point de fille, et la façon dont je vais punir la mère ne nuira point à l’établissement de mes enfants ; je puis surprendre ce petit paysan avec ma femme et les tuer tous les deux ; dans ce cas, le tragique de l’aventure en ôtera peut-être le ridicule. Cette idée lui sourit ; il la suivit dans tous ses détails. Le code pénal est pour moi, et, quoi qu’il arrive, notre congrégation et mes amis du jury me sauveront. Il examina son couteau de chasse qui était fort tranchant ; mais l’idée du sang lui fit peur.

Je puis rouer de coups ce précepteur insolent et le chasser ; mais quel éclat dans Verrières et même dans tout le département ! Après la condamnation du journal de Falcoz, quand son rédacteur en chef sortit de prison, je contribuai à lui faire perdre sa place de six cents francs. On dit que cet écrivailleur ose se remontrer dans Besançon, il peut me tympaniser avec adresse et de façon à ce qu’il soit impossible de l’amener devant les tribunaux. L’amener devant les tribunaux… L’insolent insinuera de mille façons qu’il a dit vrai. Un homme bien né qui tient son rang comme moi est haï de tous les plébéiens. Je me verrai dans ces affreux journaux de Paris ; ô mon Dieu ! quel abîme ! voir l’antique nom de Rênal plongé dans la fange du ridicule… Si je voyage jamais, il faudra changer de nom ; quoi ! quitter ce nom qui fait ma gloire et ma force. Quel comble de misère !

Si je ne tue pas ma femme, et que je la chasse avec ignominie, elle a sa tante à Besançon ; qui lui donnera de la main à