Page:Le Rouge et le Noir.djvu/176

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vous volera cela en moins de rien. Surtout n’entrez jamais dans les cafés, ils sont remplis de mauvais sujets.

— Vraiment ! dit Julien, à qui ce mot donnait à penser.

— Ne venez jamais que chez moi, je vous ferai du café. Rappelez-vous que vous trouverez toujours ici une amie et un bon dîner à vingt sous ; c’est parler ça, j’espère. Allez vous mettre à table, je vais vous servir moi-même.

— Je ne saurais manger, lui dit Julien, je suis trop ému, je vais entrer au séminaire en sortant de chez vous. La bonne femme ne le laissa partir qu’après avoir empli ses poches de provisions. Enfin Julien s’achemina vers le lieu terrible ; l’hôtesse, de dessus sa porte, lui en indiquait la route.

XXV

Le Séminaire.

Trois cent trente-six dîners à 83 centimes,
trois cent trente-six soupers à 38 centimes,
du chocolat à qui de droit ; combien y a-t-il
à gagner sur la soumission ?
Le Valenod de Besançon.

Il vit de loin la croix de fer doré sur la porte ; il approcha lentement ; ses jambes semblaient se dérober sous lui. Voilà donc cet enfer sur la terre, dont je ne pourrai sortir ! Enfin il se décida à sonner. Le bruit de la cloche retentit comme dans un lieu solitaire. Au bout de dix minutes, un homme pâle, vêtu de noir, vint lui ouvrir. Julien le regarda et aussitôt baissa les yeux. Ce portier avait une physionomie singulière. La pupille saillante et verte de ses yeux s’arrondissait comme celle d’un chat ; les contours immobiles de ses paupières annonçaient l’impossibilité de toute sympathie ; ses lèvres minces se développaient en demi-cercle sur des dents qui avançaient. Cependant cette physionomie ne montrait pas le crime, mais plutôt cette insensibilité parfaite qui inspire bien plus de terreur à la jeunesse. Le seul sentiment que le regard rapide de Julien put