Page:Le Rouge et le Noir.djvu/270

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che de France, quand surtout il est assez bien fait de sa personne et n’a pas encore trente-six ans. Il est timidement insolent, disait M. de Croisenois. Le comte de Caylus, Norbert et deux ou trois jeunes gens à moustaches, le persiflèrent tant qu’ils voulurent, sans qu’il s’en doutât, et enfin le renvoyèrent comme une heure sonnait :

— Sont-ce vos fameux chevaux arabes qui vous attendent à la porte par le temps qu’il fait ? lui dit Norbert.

— Non ; c’est un nouvel attelage bien moins cher, répondit M. de Thaler. Le cheval de gauche me coûte cinq mille francs, et celui de droite ne vaut que cent louis ; mais je vous prie de croire qu’on ne l’attelle que de nuit. C’est que son trot est parfaitement semblable à celui de l’autre. »

La réflexion de Norbert fit penser au comte qu’il était décent pour un homme comme lui d’avoir la passion des chevaux, et qu’il ne fallait pas laisser mouiller les siens. Il partit, et ces messieurs sortirent un instant après en se moquant de lui.

Ainsi, pensait Julien en les entendant rire dans l’escalier, il m’a été donné de voir l’autre extrême de ma situation ! Je n’ai pas vingt louis de rente, et je me suis trouvé côte à côte avec un homme qui a vingt louis de rente par heure, et l’on se moquait de lui… Une telle vue guérit de l’envie.

XXXV

La Sensibilité et une grande Dame dévote.

Une idée un peu vive y a l’air d’une grossièreté, tant on y est accoutumé aux mots sans relief. Malheur à qui invente en parlant !
Faublas..

Après plusieurs mois d’épreuves, voici où en était Julien le jour où l’intendant de la maison lui remit le troisième quartier de ses appointements. M. de La Mole l’avait chargé de suivre l’administration de ses terres en Bretagne et en Normandie. Julien y faisait de fréquents voyages. Il était chargé, en chef,