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Page:Le Rouge et le Noir.djvu/298

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XXXIX

Le Bal.

Le luxe des toilettes, l’éclat des bougies, les parfums ; tant de jolis bras, de belles épaules ! des bouquets ! des airs de Rossini qui enlèvent, des peintures de Ciceri. Je suis hors de moi !
Voyages d’Uzeri.

— Vous avez de l’humeur, lui dit la marquise de La Mole, je vous en avertis ; c’est de mauvaise grâce au bal.

— Je ne me sens que mal à la tête, répondit Mathilde d’un air dédaigneux, il fait trop chaud ici.

À ce moment, comme pour justifier mademoiselle de La Mole, le vieux baron de Tolly se trouva mal, et tomba ; on fut obligé de l’emporter. On parla d’apoplexie, ce fut un événement désagréable.

Mathilde ne s’en occupa point. C’était un parti pris, chez elle, de ne regarder jamais les vieillards et tous les êtres reconnus pour dire des choses tristes.

Elle dansa pour échapper à la conversation sur l’apoplexie, qui n’en était pas une, car le surlendemain le baron reparut.

Mais M. Sorel ne vient point, se dit-elle encore, après qu’elle eut dansé. Elle le cherchait presque des yeux, lorsqu’elle l’aperçut dans un autre salon. Chose étonnante, il semblait avoir perdu ce ton de froideur impassible qui lui était si naturel ; il n’avait plus l’air anglais.

Il cause avec le comte Altamira, mon condamné à mort ! se dit Mathilde. Son œil est plein d’un feu sombre ; il a l’air d’un prince déguisé ; son regard a redoublé d’orgueil.

Julien se rapprochait de la place où elle était, toujours causant avec Altamira ; elle le regardait fixement, étudiant ses traits pour y chercher ces hautes qualités qui peuvent valoir à un homme l’honneur d’être condamné à mort.

Comme il passait près d’elle :

— Oui, disait-il au comte Altamira, Danton était un homme !