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XL

La Reine Marguerite.

Amour ! dans quelle folie ne parviens-tu pas à nous faire trouver du plaisir ?
Lettres d’une Religieuse portugaise.

Julien relut ses lettres. Quand la cloche du dîner se fit entendre : Combien je dois avoir été ridicule aux yeux de cette poupée parisienne ! se dit-il, quelle folie de lui dire réellement ce à quoi je pensais ! mais peut-être folie pas si grande. La vérité dans cette occasion était digne de moi.

Pourquoi aussi venir m’interroger sur des choses intimes ? cette question est indiscrète de sa part. Elle a manqué d’usage. Mes pensées sur Danton ne font point partie du service pour lequel son père me paye.

En arrivant dans la salle à manger, Julien fut distrait de son humeur, par le grand deuil de mademoiselle de La Mole, qui le frappa d’autant plus qu’aucune autre personne de la famille n’était en noir.

Après dîner, il se trouva tout à fait débarrassé de l’accès d’enthousiasme qui l’avait obsédé toute la journée. Par bonheur, l’académicien qui savait le latin était de ce dîner. Voilà l’homme qui se moquera le moins de moi, se dit Julien, si, comme je le présume, ma question sur le deuil de mademoiselle de La Mole est une gaucherie.

Mathilde le regardait avec une expression singulière. Voilà bien la coquetterie des femmes de ce pays telle que madame de Rênal me l’avait peinte, se dit Julien. Je n’ai pas été aimable pour elle ce matin, je n’ai pas cédé à la fantaisie qu’elle avait de causer. J’en augmente de prix à ses yeux. Sans doute le diable n’y perd rien. Plus tard, sa hauteur dédaigneuse saura bien se venger. Je la mets à pis faire. Quelle différence avec ce que j’ai perdu ! quel naturel charmant ! quelle naïveté ! Je savais ses pensées avant elle, je les voyais naître, je n’avais pour an-