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XLIX

L’Opéra Bouffe.

O how this spring of love resembleth
The uncertain glory of an April day ;
Which now shows all the beauty of the sun,
And by and by a cloud takes all away !
Shakespeare.

Occupée de l’avenir et du rôle singulier qu’elle espérait, Mathilde en vint bientôt jusqu’à regretter les discussions sèches et métaphysiques qu’elle avait souvent avec Julien. Fatiguée de si hautes pensées, quelquefois aussi elle regrettait les moments de bonheur qu’elle avait trouvés auprès de lui ; ces derniers souvenirs ne paraissaient point sans remords, elle en était accablée dans de certains moments.

Mais si l’on a une faiblesse, se disait-elle, il est digne d’une fille telle que moi de n’oublier ses devoirs que pour un homme de mérite ; on ne dira point que ce sont ses jolies moustaches ni sa grâce à monter à cheval qui m’ont séduite, mais ses profondes discussions sur l’avenir qui attend la France, ses idées sur la ressemblance que les événements qui vont fondre sur nous peuvent avoir avec la révolution de 1688 en Angleterre. J’ai été séduite, répondait-elle à ses remords, je suis une faible femme, mais du moins je n’ai pas été égarée comme une poupée par les avantages extérieurs.

S’il y a une révolution, pourquoi Julien Sorel ne jouerait-il pas le rôle de Roland, et moi celui de madame Roland ? J’aime mieux ce rôle que celui de madame de Staël : l’immoralité de la conduite sera un obstacle dans notre siècle. Certainement on ne me reprochera pas une seconde faiblesse ; j’en mourrais de honte.

Les rêveries de Mathilde n’étaient pas toutes aussi graves, il faut l’avouer, que les pensées que nous venons de transcrire.