Page:Le Rouge et le Noir.djvu/403

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que m’offre Korasoff, se dit-il, mais je suivrai ses conseils.

Après tout, l’art de séduire est son métier ; il ne songe qu’à cette seule affaire depuis plus de quinze ans, car il en a trente. On ne peut pas dire qu’il manque d’esprit ; il est fin et cauteleux ; l’enthousiasme, la poésie sont une impossibilité dans ce caractère : c’est un procureur ; raison de plus pour qu’il ne se trompe pas.

Il le faut, je vais faire la cour à madame de Fervaques.

Elle m’ennuiera bien peut-être un peu, mais je regarderai ces yeux si beaux et qui ressemblent tellement à ceux qui m’ont le plus aimé au monde.

Elle est étrangère ; c’est un caractère nouveau à observer.

Je suis fou, je me noie, je dois suivre les conseils d’un ami et ne pas m’en croire moi-même.

LV

Le Ministère de la Vertu.

Mais si je prends de ce plaisir avec tant de prudence et de circonspection, ce ne sera plus un plaisir pour moi.
Lope de Vega.

À peine de retour à Paris, et au sortir du cabinet du marquis de La Mole, qui parut fort déconcerté des dépêches qu’on lui présentait, notre héros courut chez le comte Altamira. À l’avantage d’être condamné à mort, ce bel étranger réunissait beaucoup de gravité et le bonheur d’être dévot ; ces deux mérites, et, plus que tout, la haute naissance du comte, convenaient tout à fait à madame de Fervaques, qui le voyait beaucoup.

Julien lui avoua gravement qu’il en était fort amoureux.

— C’est la vertu la plus pure et la plus haute, répondit Altamira, seulement un peu jésuitique et emphatique. Il est des jours où je comprends chacun des mots dont elle se sert, mais je ne comprends pas la phrase tout entière. Elle me donne souvent l’idée que je ne sais pas le français aussi bien qu’on le dit.