Page:Le Rouge et le Noir.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

clandestin. — Alors commencerait pour moi la possibilité de la calomnie et du déshonneur. Deux mois après le mariage, j’irai voyager avec mon mari, et il nous sera facile de supposer que mon fils est né à une époque convenable.

D’abord accueillie par des transports de colère, cette fermeté finit par donner des doutes au marquis.

Dans un moment d’attendrissement : « Tiens ! dit-il à sa fille, voilà une inscription de dix mille livres de rente, envoie-la à ton Julien, et qu’il me mette bien vite dans l’impossibilité de la reprendre. »

Pour obéir à Mathilde, dont il connaissait l’amour pour le commandement, Julien avait fait quarante lieues inutiles : il était à Villequier, réglant les comptes des fermiers ; ce bienfait du marquis fut l’occasion de son retour. Il alla demander asile à l’abbé Pirard, qui, pendant son absence, était devenu l’allié le plus utile de Mathilde. Toutes les fois qu’il était interrogé par le marquis, il lui prouvait que tout autre parti que le mariage public serait un crime aux yeux de Dieu.

— Et par bonheur, ajoutait l’abbé, la sagesse du monde est ici d’accord avec la religion. Pourrait-on compter un instant, avec le caractère fougueux de mademoiselle de La Mole, sur le secret qu’elle ne se serait pas imposé à elle-même ? Si l’on n’admet pas la marche franche d’un mariage public, la société s’occupera beaucoup plus longtemps de cette mésalliance étrange. Il faut tout dire en une fois, sans apparence ni réalité du moindre mystère.

— Il est vrai, dit le marquis pensif. Dans ce système, parler de ce mariage après trois jours, devient un rabâchage d’homme qui n’a pas d’idées. Il faudrait profiter de quelque grande mesure anti-jacobine du gouvernement pour se glisser incognito à la suite.

Deux ou trois amis de M. de La Mole pensaient comme l’abbé Pirard. Le grand obstacle, à leurs yeux, était le caractère décidé de Mathilde. Mais après tant de beaux raisonnements, l’âme du marquis ne pouvait s’accoutumer à renoncer à l’espoir du tabouret pour sa fille.

Sa mémoire et son imagination étaient remplies des roueries