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Les trois coups sonnaient ; c’est un signal bien connu dans les villages de France, et qui, après les diverses sonneries de la matinée, annonce le commencement immédiat de la messe.

Julien entra dans l’église neuve de Verrières. Toutes les fenêtres hautes de l’édifice étaient voilées avec des rideaux cramoisis. Julien se trouva à quelques pas derrière le banc de madame de Rênal. Il lui sembla qu’elle priait avec ferveur. La vue de cette femme qui l’avait tant aimé fit trembler le bras de Julien d’une telle façon, qu’il ne put d’abord exécuter son dessein. Je ne le puis, se disait-il à lui-même ; physiquement, je ne le puis.

En ce moment, le jeune clerc qui servait la messe sonna pour l’élévation. Madame de Rênal baissa la tête qui un instant se trouva presque entièrement cachée par les plis de son châle. Julien ne la reconnaissait plus aussi bien ; il tira sur elle un coup de pistolet et la manqua ; il tira un second coup, elle tomba.

LXVI

Détails tristes.

Ne vous attendez point de ma part à de la faiblesse. Je me suis vengé. J’ai mérité la mort, et me voici. Priez pour mon âme.
Schiller.

Julien resta immobile, il ne voyait plus. Quand il revint un peu à lui, il aperçut tous les fidèles qui s’enfuyaient de l’église ; le prêtre avait quitté l’autel. Julien se mit à suivre d’un pas assez lent quelques femmes qui s’en allaient en criant. Une femme, qui voulait fuir plus vite que les autres, le poussa rudement, il tomba. Ses pieds s’étaient embarrassés dans une chaise renversée par la foule ; en se relevant, il se sentit le cou serré ; c’était un gendarme en grande tenue qui l’arrêtait. Machinalement Julien voulut avoir recours à ses petits pistolets, mais un second gendarme s’emparait de ses bras.

Il fut conduit à la prison. On entra dans une chambre, on