Page:Le Rouge et le Noir.djvu/495

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— Ah ! je te revois avant que de mourir, est-ce une illusion ? s’écria-t-il en se jetant à ses pieds.

Mais pardon, madame, je ne suis qu’un assassin à vos yeux, dit-il à l’instant, en revenant à lui.

— Monsieur, je viens vous conjurer d’appeler, je sais que vous ne le voulez pas… Ses sanglots l’étouffaient ; elle ne pouvait parler.

— Daignez me pardonner.

— Si tu veux que je te pardonne, lui dit-elle en se levant et se jetant dans ses bras, appelle tout de suite de ta sentence de mort.

Julien la couvrait de baisers.

— Viendras-tu me voir tous les jours pendant ces deux mois ?

— Je te le jure. Tous les jours, à moins que mon mari ne me le défende.

— Je signe ! s’écria Julien. Quoi ! tu me pardonnes ! est-il possible !

Il la serrait dans ses bras ; il était fou. Elle jeta un petit cri. — Ce n’est rien, lui dit-elle, tu m’as fait mal.

— À ton épaule, s’écria Julien fondant en larmes. Il s’éloigna un peu, et couvrit sa main de baisers de flamme. Qui me l’eût dit la dernière fois que je te vis, dans ta chambre, à Verrières ?

— Qui m’eût dit alors que j’écrirais à M. de La Mole cette lettre infâme ?

— Sache que je t’ai toujours aimée, que je n’ai aimé que toi.

— Est-il bien possible ! s’écria madame de Rênal, ravie à son tour. Elle s’appuya sur Julien, qui était à ses genoux, et longtemps ils pleurèrent en silence.

À aucune époque de sa vie, Julien n’avait trouvé un moment pareil.

Bien longtemps après, quand on put parler :

— Et cette jeune madame Michelet, dit madame de Rênal ou plutôt cette mademoiselle de La Mole, car je commence en vérité à croire cet étrange roman !