Page:Le Rouge et le Noir.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

femme les admirait, me coûte la récolte d’un demi-arpent, le blé ne peut venir sous leur ombre.

La vue de la campagne sembla nouvelle à madame de Rênal ; son admiration allait jusqu’aux transports. Le sentiment dont elle était animée lui donnait de l’esprit et de la résolution. Dès le surlendemain de l’arrivée à Vergy, M. de Rênal étant retourné à la ville, pour les affaires de la mairie, madame de Rênal prit des ouvriers à ses frais. Julien lui avait donné l’idée d’un petit chemin sablé, qui circulerait dans les vergers et sous les grands noyers, et permettrait aux enfants de se promener dès le matin, sans que leurs souliers fussent mouillés par la rosée. Cette idée fut mise à exécution, moins de vingt-quatre heures après avoir été conçue. Madame de Rênal passa toute la journée gaiement avec Julien à diriger les ouvriers.

Lorsque le maire de Verrières revint de la ville, il fut bien surpris de trouver l’allée faite. Son arrivée surprit aussi madame de Rênal ; elle avait oublié son existence. Pendant deux mois, il parla avec humeur de la hardiesse qu’on avait eue de faire, sans le consulter, une réparation aussi importante ; mais madame de Rênal l’avait exécutée à ses frais, ce qui le consolait un peu.

Elle passait ses journées à courir avec ses enfants dans le verger, et à faire la chasse aux papillons. On avait construit de grands capuchons de gaze claire, avec lesquels on prenait les pauvres lépidoptères. C’est le nom barbare que Julien apprenait à madame de Rênal. Car elle avait fait venir de Besançon le bel ouvrage de M. Godart ; et Julien lui racontait les mœurs singulières de ces pauvres bêtes.

On les piquait sans pitié avec des épingles dans un grand cadre de carton arrangé aussi par Julien.

Il y eut enfin entre madame de Rênal et Julien un sujet de conversation, il ne fut plus exposé à l’affreux supplice que lui donnaient les moments de silence.

Ils se parlaient sans cesse, et avec un intérêt extrême, quoique toujours de choses fort innocentes. Cette vie active, occupée et gaie, était du goût de tout le monde, excepté de Mademoiselle Élisa, qui se trouvait excédée de travail. Jamais dans