Aller au contenu

Page:Le Rouge et le Noir.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Jamais je n’accorderai rien à Julien, se dit madame de Rênal, nous vivrons à l’avenir comme nous vivons depuis un mois. Ce sera un ami.


XIV

Les Ciseaux anglais.

Une jeune fille de seize ans avait un
teint de rose, et elle mettait du rouge.
Polidori.

Pour Julien, l’offre de Fouqué lui avait en effet enlevé tout bonheur ; il ne pouvait s’arrêter à aucun parti.

Hélas ! peut-être manqué-je de caractère, j’eusse été un mauvais soldat de Napoléon. Du moins, ajouta-t-il, ma petite intrigue avec la maîtresse du logis va me distraire un moment.

Heureusement pour lui, même dans ce petit incident subalterne, l’intérieur de son âme répondait mal à son langage cavalier. Il avait peur de madame de Rênal à cause de sa robe si jolie. Cette robe était à ses yeux l’avant-garde de Paris. Son orgueil ne voulut rien laisser au hasard et à l’inspiration du moment. D’après les confidences de Fouqué et le peu qu’il avait lu sur l’amour dans sa Bible, il se fit un plan de campagne fort détaillé. Comme sans se l’avouer, il était fort troublé, il écrivit ce plan.

Le lendemain matin au salon, madame de Rênal fut un instant seule avec lui :

— N’avez-vous point d’autre nom que Julien ? lui dit-elle.

À cette demande si flatteuse, notre héros ne sut que répondre. Cette circonstance n’était pas prévue dans son plan. Sans cette sottise de faire un plan, l’esprit vif de Julien l’eût bien servi, la surprise n’eût fait qu’ajouter à la vivacité de ses aperçus.

Il fut gauche et s’exagéra sa gaucherie. Madame de Rênal