Page:Le Songe de Poliphile - trad. Popelin - tome 1.pdf/252

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ce point du ciel où Cynthie[1], la non cornue, disparaissait en pressant ses deux chevaux, l’un blanc et l’autre noir, qui, ensemble avec le mulet de son véhicule, l’entraînaient à l’extrême horizon séparant les deux hémisphères où, mise en fuite, elle cédait le pas à la tremblante étoile messagère du jour.

Alors les monts Riphées[2] étaient paisibles. Le glacial Eurus[3] ne venait plus, en gémissant sur leurs flancs, avec un souffle aussi âpre qu’en hiver, sous les cornes du Taureau lascif, secouer avec autant de violence les jeunes branches, ni tourmenter les joncs mobiles et pointus, non plus que les faibles cyprès, ni courber les osiers flexibles, ni agiter les saules languissants, ni incliner les sapins frêles. Orion lui-même, le hardi, ne poursuivait plus les sept Hyades[4] en pleurs. Alors les fleurs multicolores ne redoutaient pas la chaleur nuisible du fils d’Hypérion[5] qui s’avançait, mais, baignées des fraîches larmes de l’Aurore elles étaient tout humides de rosée ainsi que les prés verts. Les alcyons, sur les ondes unies et calmes de la mer apaisée, venaient construire leurs nids dans les sables du rivage.

À l’heure donc où la plaintive Héro soupirait ardemment, parmi ces plages, après le départ douloureux du nageur Léander, moi, Poliphile, j’étais couché sur mon lit, secourable ami du corps fatigué ; personne des miens n’était dans ma chambre, si ce n’est ma chère et vigilante Agrypnie[6], laquelle, après m’avoir tenu

  1. Cynthie et Cynthien, surnoms de Diane et d’Apollon, que Latone enfanta sur le mont Cynthus, dans l’île de Délos.
  2. Monts que les anciens plaçaient dans la Scythie hyperboréenne.
  3. Eurus, vent d’E.-S-E. VULTURNIUS.
  4. Hyades, constellation. De ὕειν, pleuvoir, ou de leur disposition en forme d’Y.
  5. Hypérion, fils d’Uranus, épousa Thya et fut père du Soleil. Pris pour le Soleil levant.
  6. Άγρυπνία, insomnie.