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nienne[1]. On n’y rencontrait que tanières de bêtes féroces, antres d’animaux malfaisants et de fauves de la pire espèce. Aussi j’appréhendais, avec terreur, d’être, à l’improviste et sans défense, mis en pièces, comme Charydème[2], par la dent de quelque sanglier aux soies hérissées, ou par quelque auroch en furie, ou par quelque serpent sibilant, ou par des loups hurlants, que je voyais déjà me démembrer en dévorant mes chairs. Rempli de crainte, je me décidai, — secouant toute paresse, — à ne pas demeurer plus longtemps, à fuir le péril imminent, à presser mes pas incertains et désordonnés ; buttant à chaque instant contre les grosses racines à fleur du sol, allant à droite, allant à gauche, reculant, avançant, ne sachant où me diriger, et parvenant enfin dans un fourré inculte, lieu malsain et plein d’épines, où j’étais égratigné par les ronces et les pointes des prunelliers qui me déchiraient le visage. Les chardons aigus lacéraient mon vêtement et retardaient ma fuite en le retenant. En outre, je n’apercevais aucune piste, aucun sentier battu. Plein de défiance et d’inquiétude, je pressais mes pas d’autant, si bien que l’accélération de ma marche, le vent du sud et les mouvements de mon corps m’échauffèrent tellement, que ma poitrine glacée fut bientôt couverte d’une sueur abondante. Ne sachant plus que faire, mon esprit était tendu aux plus pénibles pensées. L’écho seul répondait à ma voix plaintive, et mes bruyants soupirs s’allaient perdre avec le cri rauque des cigales éprises de l’aurore et des grillons stridents. Enfin, dans ce bosquet impraticable et dangereux, je n’avais pour toute ressource que d’implorer la pitié secourable de la Crétoise Ariadne,

  1. Hartz-Wald, forêt qui s’étendait, selon J. César, du Rhin à la Vistule.
  2. Charydème, partisan qui combattit Alexandre, et fut mis à mort par ordre de Darius.