Page:Le Songe de Poliphile - trad. Popelin - tome 1.pdf/309

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une barbe épaisse aux poils durs et hérissée comme si elle sortait péniblement du menton. Il était assis sur une pierre et recouvert d’une peau de bouc dont la partie inférieure mégissée se nouait à ses flancs qu’elle ceignait, et dont la partie du cou pendait, la toison en dedans, sur ses jambes variqueuses. Devant lui, entre ses mollets gonflés, se voyait une enclume fixée dans un billot noueux fait d’un tronc d’arbre raboteux et sur laquelle il fabriquait une paire d’ailerons incandescents, à l’aide d’un marteau qu’il soulevait pour battre son œuvre. En face de l’homme se tenait une très-noble matrone qui portait, attachées à ses épaules délicates, deux ailes emplumées. Elle soutenait son fils, un enfant nu dont les fesses mignonnes reposaient sur les cuisses blanches et charnues que la Déesse sa mère soulevait un peu, attendu que son pied portait sur un caillou contigu à la base de l’amas de pierres sur lequel était assis le forgeron pour jouer du marteau. À tout cela il faut ajouter un petit fourneau rempli de charbon allumé dans une cavité. Quant à la matrone, elle portait des tresses ramenées sur son front large et contournant sa tête bien ornée, rendue avec une délicatesse si grande, que je ne puis concevoir comment les autres statues entaillées là comme elle ne s’en énamouraient point.

Il y avait encore un homme armé à l’apparence furieuse, couvert d’une cuirasse à l’antique en forme d’égide avec l’épouvantable tête de Méduse sur la poitrine et autres ornements exquis sur le thorax. Ce guerrier, dont un baudrier traversait le large sein, soulevait une lance d’un bras musculeux. Il était coiffé d’un casque à la crête aiguë. Son second bras ne se voyait pas, masqué qu’il était par les autres figures. On apercevait encore, derrière la tête penchée du forgeron, le buste d’un jeune homme vêtu d’une étoffe légère.