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avait eu l’œuvre de la nature elle-même présente à la pensée.

Ce satyre tenait l’arbousier par ses rameaux, avec la main gauche, et, le tirant violemment, l’infléchissait au-dessus de la nymphe assoupie, avec l’intention évidente de lui faire une ombre agréable. De la main droite, il soulevait l’extrémité d’une courtine attachée par l’autre bout aux branches voisines du tronc. Entre l’arbre feuillu et le satyre se trouvaient deux satyreaux enfants. L’un tenait un vase, l’autre des serpents qui s’enroulaient autour de ses mains.

On ne saurait exprimer suffisamment le degré de délicatesse, d’élégance, de perfection qui se voyait en cette œuvre et auquel s’ajoutait la beauté du marbre plus brillant que de l’ivoire poli. J’admirai sans mesure l’art prodigieux avec lequel le trépan avait fouillé ces branches, ces feuilles légères, ainsi que la précision et l’exactitude avec lesquelles étaient rendus les petits pieds des oiselets, ainsi que la figure du satyre. Au-dessous de cette merveilleuse sculpture, entre les gorges et les moulures, sur le bandeau uni, je vis cette mystérieuse légende gravée en caractères Attiques :

ΠΑΝΤΩΝ ΤΟΚΑΔΙ[1]

Je ne saurais dire si je fus incité à boire par la soif ardente dont j’avais souffert tout le jour et la veille, plutôt que par la beauté de cette fontaine, dont la fraîcheur me découvrit le mensonge de la pierre. Aux alentours de ce lieu paisible, tout le long des ruisseaux murmurants, fleurissaient les pâquerettes, le muguet, la lysimachie épanouie, les roseaux plaintifs, la citronelle, l’ache, la patience d’eau, maintes herbes chères aux

  1. À la mère de tout.