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Page:Le Songe de Poliphile - trad. Popelin - tome 2.pdf/26

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faire des prières et des sacrifices à la divinité de Pluton tricorporel, à peine pour eux, s’ils avaient l’impiété de s’en abstenir, d’être avisés de leur mort propre et prématurée. Pour ce, ils immolaient des victimes noires, des brebis n’ayant pas encore connu le mâle, sur un autel ardent en airain, les mâles au dieu, les femelles à la déesse.

Ils accomplissaient là, pendant trois nuits, des lectisternes[1], puis, couvrant de roses le feu du sacrifice, ils faisaient leurs invocations. C’est pourquoi tu vois qu’il reste encore ici des grands rosiers de toute espèce. Alors il était défendu d’en cueillir les roses, elles étaient distribuées par les prêtres.

Le feu du sacrifice allumé, le pontife, la tête ceinte d’un bandeau, la poitrine décorée d’une admirable et mystérieuse agrafe d’or enrichie d’une précieuse pierre synochitide[2], répartissait entre chacun quelque peu de cendres recueillies dans un simpule d’or et l’offrait avec une grande dévotion. La cendre reçue, les assistants sortaient du temple avec tout le recueillement prescrit, pour gagner le gai rivage de la mer, très-proche, comme tu vois. Introduisant dans un roseau cette cendre sacrée, ils la soufflaient fort religieusement dans la mer et, poussant ensemble, à voix haute, des exclamations confuses mêlées aux hurlements des femmes, ils s’écriaient : Périsse ainsi quiconque serait sciemment cause de la mort de son amant !

Ayant ainsi lancé la cendre dans la mer et jeté le roseau, ils crachaient trois fois dans ladite mer en faisant : fu ! fu ! fu ! Puis ils retournaient prendre

  1. Repas faits dans les temples en l'honneur des dieux et où leurs images étaient couchées sur des coussins (Tit. Liv. XXII, 10)
  2. De συνέχω, je contiens. Pierre avec laquelle les magiciens contenaient les ombres évoquées. (Pline, XXXVII, 11.)