Page:Le Stylet en langue de carpe.djvu/181

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toniques de félicité parce qu’ils aident à vivre la minute présente avec le maximum d’acuité. Ainsi, je revois ces jours curieux et charmants avec la certitude d’y avoir touché aux cîmes du bonheur. Et pourtant je sais aussi que ce bonheur était la préface d’un drame farouche où le sang coula.

Ah ! quel rêve amer et délicieux j’évoque pourtant encore avec ces longues randonnées au long des routes ingrates ! Les paysages se déroulaient dans une sorte de paix coite, troublée seule par le halètement de mon moteur. Pics lointains noyés dans le bleu, perspectives infléchies comme torses de femmes lasses, champs géométriques, bois mystérieux et sauvages, maisons accroupies au bord des routes et villages, sommés dans les lointains, de clochers essaimant aux heures rituelles leurs angelus, leurs glas ou ces grelottements satisfaits dont j’ignorais le sens exact. Routes dures et pierreuses, chemins timides à peine tracés, ponts arqués sur des torrents secs, pentes roides ou passaient des chèvres, odeur surie des