Page:Le Stylet en langue de carpe.djvu/89

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Elle se dominait donc, même dans les plus folles convulsions charnelles, et ne me révéla, ni dans le calme, ni dans la fièvre, pas un atome de sa vie ou de son passé. De sa demeure, de May, de toute cette cryptographie constituée par une vie qu’on devinait originale jusqu’à sortir de la nature, elle ne laissa, tant qu’elle vécut avec moi, tomber un seul mot.

Parfois elle jetait avec une ironique crispation de la bouche, des interjections sibyllines, mais il était vain à moi de chercher leur sens et leur portée. Cette femme était une énigme vivante, le symbole même de tout ce que les hommes désirent connaître et qu’ils ignoreront jusqu’à la tombe.

On comprendra fort bien tout ce que cette âme ténébreuse avait d’excitant et de possessif. Je m’adonnai à cet amour fantastique avec une passion fauve. Et cela d’autant que je me demandais obstinément si l’amour qu’elle me manifestait n’était pas, au fond, une sorte d’artifice, une charité qu’elle me fît. M’a-t-elle aimé ? Qui le sait et qui le