Page:Le Sylphe - Poésies des poètes du Dauphiné, tome 1, 1887.djvu/229

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REVUE DES ÉCRIVAINS DAUPHINOIS 3l et Juvénal flagellèrent jadis les abus et les vices des grands de Rome. Cette lecture m'a retrempé et m'a fait comprendre une fois de plus que la désespérance n'est qu'une faiblesse bonne tout au plus pour les impuissants et les lâches. Je me suis malgré moi laissé emporter par un souffle invisible et puissant d'indépen dance et de liberté qui semble parfois animer cette poésie pas sionnée et ardente. J'ai battu des mains et j'ai crié « Bravo! » à ces paroles d'un moribond sublime : Un peuple tout entier, le front plein d'auréoles, Chantant, l'extase au cœur, les larmes dans les yeux, Sur vos trônes brisés, surgira dans les cieux. Et vous alors, ô grands potentats, rois du monde, Le front courbé, tremblants d'une angoisse profonde, Maudits, partout chassés et partout outragés, Disparaîtrez ainsi que tous les préjugés. O jour du grand réveil ! jour d'amour et de gloire 1 O peuple, fier lion libre, quelle victoire 1 Tu seras à ton tour le maître! Tu feras Trembler tes oppresseurs ; ils te tendront les bras. Mais calme et grand, sentant battre sous ta poitrine Ton cœur plein de clartés, que Dieu seul illumine, Tu sauras, ô Titan, fier de tes nouveaux droits, Du trône à tes genoux courber le front des rois ! « Giacomo est un halluciné », nous dit l'auteur dans sa pré face ; soit, mais sa folie est de celles qui viennent du génie et qui conduisent au martyre, et cette folie-là, non seulement on la respecte, mais encore on l'admire. Quant à Maselli qui renferme en lui seul tous les désordres et tous les crimes pontificaux des Borgia, il n'est pas de colère indignée qu'il n'excite, et l'on sait gré au poète de l'avoir marqué au front d'un stigmate de mépris. On attend le retour que lui prédit sa victime, et on regrette de ne pas encore voir arriver ce juste revirement des choses d'ici-bas qui doit infailliblement le précipiter du haut de ce trône honteusement souillé, où il n'est monté que par : Un escalier lugubre en marches d'échafauds. Je n'essayerai pas de faire ici une analyse de La Chaîne rouge, je préfère renvoyer mes lecteurs au livre lui-même, certain que je suis de faire une bonne action en leur indiquant une bonne œuvre. « Bonne » à plus d'un titre, car c'est à peine si l'on peut re marquer quelques rejets un peu durs et deux ou trois longueurs dans tout le corps de l'ouvrage, tant l'auteur a su frapper à la fois fort et juste. Grenoble, 30 mars 1887. C. NIEMAND.