Page:Le Sylphe - Poésies des poètes du Dauphiné, tome 1, 1887.djvu/271

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LE SYLPHE REVUE DES ÉCRIVAINS DAUPHINOIS. IDYLLE PARISIENNE En ses berges plates d'où tombent, comme des cheveux de têtes coupées, les branches des saules pleureurs, dans la mé lancolie des beaux nénuphars aux feuilles nageantes et aux rieurs jaunes, silencieusement et paresseusement, coule la rivière bleue sous l'implacable soleil de feu. Les choses sont comme prostrées dans la chaleur qui monte de la terre et qui descend du ciel ; seul le bois ouvre des asiles frais et c'est là que je rêvasse, hébété, vautré dans l'herbe haute, anéanti et heureux dans le silence ému des ombres violettes. Un bateau à vapeur sifflait là-bas, du côté de Suresnes: «Il faut être fou pour se risquer en Seine par ce temps-là », pensais- je, — c'est alors que je la vis venir dans un sentier perdu où sa robe roulait les feuilles. Une bonne fille, allez, cette Irma Divoor, de l'Hippodrome, avec ses cheveux roux, son nez curieux, son air de cabotine ennuyée et perverse, ses yeux trop grands, et ses lèvres trop rouges ! Et des dents qui ont croqué pas mal de gros patrimoi nes et de petits jeunes gens. — Comme elle s'approchait, je la revis nettement dans la grande piste avec ses trois chevaux en flèche, qu'elle enlevait d'un si gracieux et énergique coup de fouet, sa longue promenade sous les fleurs, au milieu d'applau dissements frénétiques, souriante et tranquille, dans le carosse de gala, traîné par des chevaux noirs à panaches et à clochettes d'argent, et monté par un postillon et des laquais Louis XV en habits brodés et en perruques poudrées ; puis, dans sa loge, mignarde et coquette devant la glace, donnant un coup de pin ceau par-ci, un coup de houpette par-là, entourée de gens très graves, de vieux Messieurs très chauves, de petits garçons déjà très âgés aussi, tous en habit noir et tous portant à la boutonnière le gardénia sinistre, fleur couleur de sang versé, — et ces ombres étriquées avaient des gestes bouffons, des tournoiements extra vagants de pantins détraqués, saluant, papillonnant, faisant des ombres cocasses sur le plafond et sur les murs; — puis enfin dans sa chambre, une sorte de boudoir oblong, où de mortelles 1er Volume. — 10e Livr.