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THÉÂTRE DE LA RÉVOLUTION

suivent. Mon frère est le plus acharné. Il ne se passe pas de semaine que je ne reçoive d’eux des libelles d’une perfidie atroce, des rendez-vous de femmes pour m’attirer dans des guet-apens, des lettres pour me compromettre, toutes sortes d’inventions savantes et diaboliques. Tu ne connais pas la puissance de mal qu’il y a dans un aristocrate.

TEULIER.

Je sais tout ce qu’il y a de sec et de cruel dans le cœur d’un aristocrate. Si je n’en avais fait depuis longtemps l’expérience, je la ferais aujourd’hui, en te voyant, d’Oyron.

D’OYRON, ironique.

Il va me faire un crime de servir la République ! Aimerais-tu mieux me voir dans l’armée de Condé ?

TEULIER.

Je n’aime pas les rénégats.

D’OYRON.

Il est difficile de vous satisfaire… Relis Corneille. Ne conseille-t-il pas de sacrifier les siens à sa patrie ?

TEULIER.

Tu te moques ; mais je ne suis point ta dupe. Je lis dans ton jeu. Nulle foi républicaine n’explique ta cruauté. Tu détestes les aristocrates ; mais tu es un aristocrate. Ce n’est pas la patrie, c’est ton ambition que tu es venu servir parmi nous… Prends garde, Catilina, je veille.

D’OYRON.

Ne crois pas m’intimider ; moi aussi je te connais. Qui t’a fait quitter tes livres, tes travaux, la vie de laboratoire ? Qui, si ce n’est le désir de commander aux autres, de traîner un sabre à ton côté, l’espoir de dominer ? Je sais à quoi m’en tenir sur le désintéressement des hommes de science. Ce sont les pires ambitieux, les ambitieux tristes, toujours mécontents, qui ne savent pas jouir, qui ne prennent jamais le temps de se fixer nulle part, qui convoitent toujours plus, l’esprit toujours inquiet, toujours envieux