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Page:Le Tombeau de Théophile Gautier, 1873.djvu/115

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Comme l’abeille au lis, l’expression heureuse,
Rimes et mots ailés, accourait à ta voix.
L’image éblouissait dans ta strophe nombreuse,
Les mètres se teignaient de pourpre sous tes doigts.

Le nombre et la couleur, le rhythme au long vocable
Épousaient dans ton vers la ligne au fier contour.
La forme avait ton culte, ô poëte impeccable !
Et de ses dons la forme a payé ton amour.

Artiste exquis, tu fus un ouvrier modèle :
Patient, obstiné, tendant sans cesse au mieux,
Ta pensée et ton cœur, sous ton pinceau fidèle,
En de vivants tableaux se traduisaient aux yeux.

Ta parole peignait ; pour toi l’inexprimable
N’existait pas : les mots t’obéissaient soumis.
Mais sévère à toi seul, Maître ! ta force aimable
Accueillait tout effort de ses bravos amis.

Dans tes savantes mains la plume du critique
Conseillait sans blesser. Ta clémente équité
Savait mêler l’éloge au blâme sympathique :
Tu fus grand par la force et grand par la bonté.

Et tu pars, et la tombe a clos ta destinée ;
Mais de la lice au moins tu sors ayant vaincu.
Tu peux croiser tes bras : ton œuvre est terminée,
Maître ! et tu n’es pas mort, toi, sans avoir vécu !