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2 - LE TOUR DU MONDE.

déjà soumis à M. de Brazza que M. Glozel put en connaître d’autres, et qu’ainsi, gagnant du terrain de proche en proche, et utilisant ses nouveaux amis pour rallier des chefs plus éloignés, il put atteindre, en usant seulement de la persuasion et de moyens entièrement pacifiques, le but qu’il s’était proposé.

I

De Berbérati à la Mamheéré.


Fondation du poste de Tendira.

À mon relour de Gaza le 15 août 1894 je trouvai encore le commissaire général à Berbérati. M. de Brazza attendait l’arrivée d’un des vapeurs de la colonie à Bania ou à Nola pour quitter cette région.de la haute Sangha où 1l venait de passer quatre années conséculives.

Nous employämes ces derniers jours de vie commune à arrêter définitivement notre plan d’action.

Le 21 août nous recevions un courrier de France. Le Courbet, qui l’avait apporté, était à Nola. Nos correspondances et nos journaux les plus récents remontaient au mois de mai, mais un cäblogramme très bref, envoyé par exprès de Libreville, nous apprenait la mort du président Carnot, assassiné le 27 juin à Lyon. Le lendemain matin, le commissaire général fit rassembler dans la cour du poste tout le personnel, Français et Africains, et mettre le pavillon en berne. A plus de deux mille kilomètres de la côte et à quelques milliers de lieues de France, les cérémonies les plus simples présentent toujours une certaine grandeur.

Nous n’avions plus qu’à presser les préparatifs du départ : le docteur Herr et Si-Sliman devaient rester à Berbérati avec une douzaine d’hommes et la presque totalité du matériel et des marchandises : ils nous rejoindraient une fois l’emplacement du poste futur choisi et ses premières constructions achevées. Gérardin et la plus grande partie du personnel noir devaient partir avec moi ; mes porteurs, peu chargés, me constituaient une caravane plus légère, et, l’emplacement du poste choisi, j’avais ainsi sous la main un plus grand nombre de travailleurs pour pousser activement les construclions. En sus du personnel dé la mission je disposais d’un agent auxiliaire du Congo, M. Paul Goujon, et d’une vingtaine de noirs de la colonie qui devaient assurer ladministration et la garde du poste à créer.

Les hommes désignés, les charges prêles, je pus me mettre en route le 24 août à 8 heures et demie du matin, après avoir pris congé de M. de Brazza et des compatriotes que nous laissions à Berbérati.

En quittant la croupe sur laquelle est bâti le poste, la route traverse la Balouri, qui, gonflée par les pluies récentes, avait cessé d’être guéable. Le sentier aboutissait à un énorme tronc d’arbre formant pont d’une rive à l’autre ; malheureusement le pont lui-même était submergé, et en l’utilisant on avait encore de l’eau jusqu’aux genoux. Nous faisons halte à 11 heures au hameau de N’Dellé ; ce sera tout pour cette première journée, l’aprèsmidi sera employé à rectifier les détails d’organisation, qui clochent toujours plus ou moins au moment de la mise en roule. |

J’ai de plus à prendre connaissance d’un palabre que je dois régler chemin faisant. Un homme du chef Gouachobo, chez lequel je dois coucher demain, a enlevé une femme à Sounda, le chef du clan Bayanda des Boutons, sur le territeire duquel a été fondé le poste de Berbérati.

Avant notre installation dans le pays 1l n’en fallait pas davantage pour allumer une guerre de plusieurs années, peu meurtrière à vrai dire. C’est le plus souvent par l’enlèvement de quelque noire Hélène que commencent toutes les guerres africaines : heureusement, tout comme les héros d’Homère, les guerriers noirs s’injurient beaucoup, mais s’entre-tuent peu. Dans l’espèce, les deux chefs en cause reconnaissent notre autorité, j’ai donc lieu d’espérer qu’ils accepteront mon arbitrage.

Le 25 août nous partons à 6 heures du matin et traversons jusqu’à 8 heures et demie une région très cultivée et parsemée de nombreux hameaux ; les Bayandas ne forment point d’agglomérations nombreuses, mais se réunissent par groupes de cinq à quinze ou vingt cases, parfois presque contigus les uns aux autres. Leurs villages ainsi constilués me rappellent ceux des Ndris et des Mandjias, visités par la mission Maisire lorsqu’elle quitta la Kémo.

Le terrain, légèrement accidenté, est coupé de nombreux ruisseaux aux berges boisées, affluents de la Batouri, que nous avons traversée hier. Le sol, argileux ; ne doit pas être très fertile. A partir de 8 heures et demie, plus de villages ; l’aspect du pays n’a pas changé : seuls les boïsements avoisinant les cours d’eau sont peut-être un peu plus étendus, le sentier est moins bien frayé : nous sommes dans la marche qui sépare Gouachobo de ses Voisins. | .

Ce (ouachobo, aujourd’hui un vieillard, est très probablement de race baya, mais, enlevé jeune par les Foulbés, il devint l’un des esclaves de confiance d’Ahmed Gabdo, le troisième {amido (chef) de Ngaoundéré, puis de son fils Bello. Il les accompagna dans leurs expéditions militaires et fut laissé par Bello comme gouverneur ou résident dans le pays, à la suite de l’une d’elles. Sa position né tarda pas à devenir assez difficile. Les

1. Pour les débuts de ce voyage, consulter le Tour du Monde (A Travers le Monde) du 24 août 1895.