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LA POSTE À LAMPAUL. — DESSIN DE MASSIAS.

un de leurs gigots, dont la chair est très savoureuse ; c’est en outre une race robuste et précieuse pour l’île. Ils valent de quarante à cent sous pièce.

Ouessant produisait aussi autrefois une race spéciale de chevaux, également petits et solides ; lors de la naissance du Roi de Rome, deux spécimens en furent envoyés à Paris, au jeune monarque, par le département du Finistère. Il y en avait alors, dans l’île, douze à quinze cents, paraît-il. Mais on eut l’idée malencontreuse d’en vouloir améliorer l’espèce par des croisements savants, et l’on ne réussit qu’à la détruire. Il reste aujourd’hui une dizaine de haridelles, tout au plus, et lors des récents travaux exécutés au phare du Créac’h, les grosses pièces de la machine à vapeur destinée à la nouvelle sirène durent être traînées jusque-là à force d’hommes.

Depuis longtemps déjà les habitants de l’île avaient coutume d’allumer, la nuit, un grand feu à la pointe Nord, qui, la plus élevée, atteint près de 70 mètres à pic, lorsque, en 1655, Vauban, cet homme extraordinaire dont le passage a laissé des traces aux quatre coins de la France, fit bâtir au même endroit le premier phare, dit aujourd’hui phare du Stiff, sorte de tour massive et crénelée, au sommet de laquelle on monte par un escalier contenu dans une tourelle adjacente. Sur la plate-forme terminale était placé un vaste réchaud de fer où l’on entretenait un brasier de bois et de charbon ; c’était le moyen le plus puissant dont on disposait alors. La robuste construction n’a pas bougé depuis plus de deux siècles de tempêtes, mais une lanterne de cristal la surmonte maintenant.

Plus moderne est le second phare, celui du Créac’h, haute colonne creuse, solide aussi, aux murs intérieurs duquel s’accroche un escalier tournant, vertigineux avec sa cage à vide. Extérieurement, il est peint d’anneaux alternés blancs et noirs ; il porte un fanal à éclipses aux vitres duquel, le soir, les alouettes des champs et les oiseaux de mer viennent se heurter et se briser, attirés par son éclat. En hiver surtout, dans les mauvais temps, ce sont de véritables hécatombes ; il n’y a qu’à ramasser le produit de cette chasse d’un nouveau genre. C’est ce phare qui regarde l’Atlantique et qui domine le plus de récifs.

Cette côte, on le conçoit, exposée à tous les assauts du large, est, depuis le cap de Cadoran jusqu’à la pointe de Pern, la plus découpée d’Ouessant, celle dont les rocs sont le plus curieusement travaillés par l’eau, et où la nature s’est complu dans les jeux les plus bizarres. Tantôt c’est un pont taillé dans un pan de la falaise, se détachant sur les vagues glauques, et dont le faîte s’écroulera un jour ; ce sont des grottes, encore inexplorées, où l’on ne peut parvenir en barque à cause de l’incessante agitation de la mer, où nul sentier ne conduit, et où il faudrait se faire descendre à marée basse avec des cordes sous les bras ; ce sont enfin des aiguilles de pierre, d’allure gothique, telles qu’on n’en peut voir de plus belles, et qui, de loin, font prendre certains blocs gigantesques pour des églises de rêve, pour de fantastiques châteaux.

Mais ce qu’il y a surtout de merveilleux à Ouessant, c’est que, par suite de sa hauteur au-dessus de la mer, rien, nulle part, n’y borne la vue ; c’est que partout vous enveloppent ces deux infinis : l’infini des flots, l’infini du ciel.