Aller au contenu

Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 06.djvu/527

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Maintenant Guilhem resplendit d’une merveilleuse lumière ; ceint d’une auréole de clarté, il est assis, triomphant sur le pôle du monde et regarde Le Christ !

La légende et la poésie s’en emparèrent, et les Songléure multiplièrent ses exploits ; il devint le héros de plusieurs poèmes dans lesquels on le baptisa Guilhaume au Court Nez, parce que dans un duel, il aurait eu le bout de cet appendice enlevé d’un coup d’épée ; il fut, enfin, le principal personnage d’un Mystère intitulé « Miracle de Notre-Dame et de Saint-Guilhem, duc d’Acquitaine, que les diables battirent tant qu’ils le cuidèrent laisser mort. »

Au début, saint Bernard, abbé de Clairvaux, se plaint à Dieu de la vie désordonnée de Guillaume, duc d’Aquitaine, et demande sa conversion ; Guillaume, en effet, touché des discours du Saint, va trouver un ermite qui lui impose pour pénitence de revêtir son haubert sur sa chair nue, pour ne plus le quitter ; un serrurier arrive, pour river le fer sur son corps. Il se rend ensuite auprès du Pape qui l’absout, et lui persuade de vivre en solitude. Les Diables se désolent.

BELZÉBUTH

Satan ! j’ai le ventre plein
De deuil, et te dirai pourquoi :
Nous avons perdu, bien le vois,
Guilhem, le duc d’Aquitaine.
Il le faut pouvoir attraper
En un péché.


SATAN

Belzébuth ! à ce j’ai songé.

et il va vers Guilhem, déguisant ses traits, afin de l’emmener sous prétexte qu’il est son père :

Allons, Guilhem, biau fils cher,
Le cœur pour toi de deuil me fend.
Tu sais que je n’ai plus d’enfant,
Et comme ne fais que vieillir,
Biau fils pour ma terre tenir,
Veuille venir près de ta mère.

Comme Guilhem ne lui répond pas,

Fait-il le sourd, ou est-il muet ?

s’écrie Belzébuth,

Puisqu’autrement point ne l’aurons,
Frappons-le à coups de bâton.


SATAN, frappant.

Hu ! ha ! bœuf ! nif ! Tiens, prends cela !


BELZÉBUTH

Viens-t’en. Il a perdu l’haleine.

Alors Notre-Dame arrive, suivie de Gabriel, de Michel, de sainte Christine, et de sainte Agnès, qui le guérissent de ses blessures en chantant des rondels. Et quand il meurt plus tard, Dieu lui-même, escorté des Vierges du Paradis vient assister à son trépassement.



Autour du monastère s’étaient groupés, peu à peu, quelques habitants, et un village se forma qui prit tout naturellement, de l’illustre Saint et de sa situation, le nom de Saint-Guilhem-le-Désert.

DÉBRIS DE SCULPTURES PROVENANT DU MONASTÈRE DE SAINT-GUILHEM. — DESSIN DE BOUDIER.

Il se compose actuellement d’une place, et d’une rue unique, étroite et bordée d’une double file de maisons, entassées dans le fond d’un ravin où coule un petit affluent de l’Hérault, le Verdus ; grâce à ce ruisseau les gens peuvent vivre, car il permet à quelques carrés de prairie de verdoyer, à quelques légumes de pousser, en amont et en aval des maisons sous lesquelles il passe en tunnels, tellement est resserré ce ravin, tellement on a été avare du sol cultivable. Beaucoup de ces habitations sont très anciennes et n’ont pas moins de mille ans, ou plus ; plusieurs ont conservé leurs façades romanes. L’on a d’ailleurs gardé toujours l’habitude de construire en voûtes ; d’un côté à cause de l’abondance des pierres dans le pays et de la rareté du bois dont l’emploi se trouve ainsi supprimé pour les plafonds, d’une autre part à cause de la fraîcheur que donne ce mode de construction. Les rez-de-chaussée des maisons, où l’on pénètre par une porte