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ordinairement en plein cintre, ont l’air de caves. Mais le monument le plus particulièrement curieux est l’église.

Du monastère dont elle faisait partie, il reste peu de chose ; à peine quelques chapiteaux brisés, quelques arcades à demi envahies de lauriers-roses. Demeuré intact jusqu’à la Révolution, il fut alors vendu et servit, suivant l’usage, de carrière de pierres. Mais l’église est toujours debout. C’est un des plus remarquables et rares monuments du style carolingien ; style de transition dans lequel il y a du roman, du byzantin et de l’influence antique. Déjà même, dans la finesse de quelques sculptures, on entrevoit poindre l’art gothique. Singulièrement imposante en est l’abside, avec sa couronne de petites fenêtres aveugles, car dans ces temps barbares les grandes verrières lumineuses ne ruisselaient pas encore derrière les autels d’un Dieu de terreur, et toute fenêtre était en même temps une meurtrière. À l’intérieur, le vandalisme ou de prétendus embellissements l’ont depuis longtemps défigurée ; un de ses anciens curés prit, paraît-il, la toile d’un tableau représentant Guilhem franchissant l’Hérault d’un bond de son cheval, pour en faire un maillot à l’enfant nouveau-né de sa nièce ; ce qui était même, soit dit en passant, une singulière idée. L’antique autel, don de Charlemagne, fut remplacé au xviiie siècle par un autre, en marbre blanc et noir, à la mode du temps ; c’est du moins un joli morceau de sculpture et les deux anges agenouillés sont d’une grâce exquise. Les orgues, fort belles également, sont aussi de cette époque ; elles échappèrent à la destruction révolutionnaire, plus heureuses que leurs voisines de Lodève dont les tuyaux furent mis aux enchères pour être transformés en rôtissoires et en ustensiles de cuisine. Enfin, quelques sculptures intéressantes ont été soigneusement recueillies par le curé actuel, et parmi elles on remarque :

« Le sarcophage des deux sœurs de saint Guilhem, Albane et Bertane, portant sur le devant treize personnages et Daniel dans la fosse aux Lons ; sur les côtés, la chute d’Adam et d’Ève, et les Trois Enfants dans la fournaise.

« L’autel de Saint Guilhem ; deux panneaux carrés représentent, l’un le Christ en croix ayant à ses pieds sa mère et saint Jean (dans le haut, le soleil et la lune) ; l’autre, Jésus-Christ assis entouré des quatre évangélistes, et hénissant du doigt.

« La base du sarcophage de Saint Guilhem.

« La pierre tombale de Bernard de Bonneval, abbé, mort en 1317, avec l’inscription suivante en latin : En l’an mcccxvii de l’incarnation du Seigneur, le 8 juillet, mourut le père Bernard de Bonneval, abbé de Saint-Guilhem qui dirigea ce monastère pendant treize ans. Que son âme repose en paix ! Homme qui me regardes, je suis ce que tu seras, j’ai été ce que tu es. Dis un pater noster pour mon âme.

« D’autres pierres tombales, un ange décapité, et deux personnages revêtus d’une longue robe, ayant une palme entre leurs mains, » etc.

Quant aux reliques du Saint lui-même, quant au morceau du bois de la vraie Croix donné par Charlemagne, ce n’est pas sans peine que ces précieux objets sont venus jusqu’à nous. La dépouille mortelle de ce pauvre homme eut surtout à subir bien des tribulations. Une donation de l’église de Saint-Pierre-de-Sauve, localité peu éloignée, ayant été faite à l’abbaye de Saint-Guilhem.

« Nous avons, raconte une vieille charte, selon le conseil d’hommes sages, exhorté l’abbé Gausfred et tous ses moines à venir prendre possession de ce lieu, avec la Sainte Croix et le corps du Bienheureux confesseur Guilhem. Ils se sont hâtés de satisfaire à notre désir. Ayant pris leur étendard et les restes du Bienheureux Guilhem, accompagnés d’une grande foule de fidèles, moines, clercs, chevaliers, laïcs, portant des encensoirs, des candélabres, des sonnettes, des chapes et des bréviaires, ils sont arrivés à Sauve, bannières déployées ; au son des trompettes, et ont pris possession du bien que nous leur avons donné au nom du Seigneur, et pour la rédemption de nos âmes. »

UN ERMITAGE DANS LA MONTAGNE (PAGE 526).
DESSIN DE BOUDIER.

C’était bien imprudent, on l’avouera, de promener de la sorte des restes aussi sacrés, qui accomplissaient en outre de nombreux miracles ; leur réputation s’étendait tellement loin qu’on leur amena une fois, du Finistère, une possédée, afin qu’elle fût guérie par leur attouchement. La lutte fut longue, paraît-il ; le Diable ne prétendait pas sortir du corps de la malheureuse qui trépignait, dansait, sautait, se frappait la tête contre les murs ; saint Fulcran qui était présent commençait lui-même à désespérer, lorsqu’on entendit soudain un grand fracas ; c’était le démon qui avait pris la fuite par une des fenêtres de