UNE MISSION EN ACADIE[1]
e first class hotel où j’étais descendu, ne le cédait en rien, comme
confort et tenue, à celui de Sydney ; tout au plus pourrait-on lui reprocher
cette profusion de petits récipients contre lesquels on trébuche à
chaque pas, mais qui sont, en quelque sorte, rendus indispensables par
l’usage immodéré que font de la chique les citoyens du Nouveau-Monde :
du fond du rocking chair où il se balance en lisant un journal de trente-deux
pages, l’Américain arrive à des prodiges de balistique pour atteindre
le but — parfois fort éloigné — représenté par ces vases de terre brune
dont les « halls » d’hôtels sont parsemés ; il doit falloir pratiquer dès l’enfance
pour parvenir à une telle sûreté de bouche ; c’est une marque
d’origine inimitable et qui explique cette boutade d’un Américain à un
Français maladroit qui venait de l’éclabousser : « Je vois, vous êtes un
commençant ! »
La nourriture est passable dans ces hôtels, mais on est, pour la boisson, obligé d’opter entre deux régimes : lacté ou aquatique (glace à volonté). Le vin est un mythe et la bière elle-même — dans les comtés où sévit l’acte de tempérance — prohibée. Le fait de demander une bouteille de pale ale à la maid qui vous sert, lui fait jeter de tels regards effarouchés, que vous vous demandez si votre anglais ne vous a pas trahi et ce qu’elle a bien pu comprendre. Il y a, d’ailleurs, pour ceux qui savent, plus d’un moyen de tourner la difficulté et cette tartuferie officielle ne trompe personne. Sous prétexte, sans doute, que le temps vaut de l’argent, on ne s’attarde pas à table : quand il m’arrivait de lever les yeux de mon assiette ou de souffler entre deux plats, on venait me
- ↑ Suite. Voyez p. 529 et 541.