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RENNES, LA SALLE DU PARLEMENT.

tout cela », dit-elle. « Ce mot, écrit Chateaubriand, me révéla la Muse ; un souffle divin passa sur moi. Je me mis à bégayer des vers, comme si c’eût été ma langue maternelle ; jour et nuit, je chantai mes plaisirs, c’est-à-dire mes bois et mes vallons… C’est dans les bois de Combourg que je suis devenu ce que je suis, que j’ai commencé à sentir la première atteinte de cet ennui que j’ai traîné toute ma vie, de cette tristesse qui a fait mon tourment et ma félicité. »

Tout le temps qu’a duré ma visite à Combourg, à chaque fenêtre ouverte, à chaque sortie sur un mur de ronde, j’aperçois le marché, j’entends sa rumeur qui monte vers les tours, avec l’aigre concert des cris des porcs. Ce n’est plus la tristesse de René, c’est la mêlée humaine et la bataille des intérêts. Ma foi ! cette vie qui continue malgré la mélancolie des poètes, fait tout de même plaisir à voir, et je suis bien sûr que Chateaubriand, vieilli et morose, dut se rappeler plus d’une fois les gaietés à pleine rue qui assaillaient les auberges de Combourg. Lui aussi, en son intelligence et en son cœur, savait le prix du rire, et la figure du jeune homme amer et hautain qui hante cet étang, ce parc et ces hautes tours, n’est pas diminuée parce que le vieillard, revenu de tout, s’en allait dîner dans un cabaret du Jardin des Plantes et écouter les chansons de sa bonne amie.

Une dernière allée et venue au bord de l’étang, où il y a toujours les joncs et les nénufars, où il n’y a plus la barque légère de René et de Lucile. La nuit me surprend à quelques centaines de mètres de Combourg. Lorsque je rentre en ville, on arrime les dernières voitures autour du marché. L’hôtel Gentil est envahi par la foule. Les hommes sont en blouses, en vestes, mais il y a les costumes noirs et les coiffes des femmes de Bécherel, Hédé, Tinténiac, Miniac, la coiffe de Miniac en forme de mitre ailée.

Peu à peu, tout ce monde file par les routes, et je suis bientôt seul, libre de regarder à mon aise les boiseries sculptées qui couvrent les murs, de la cimaise au plafond. C’est le travail de l’hôtelier, et un bon travail, car les plateaux de châtaignier qui ont servi à la confection de ces boiseries, ont été choisis dans de beaux bois refendus dans le sens du fil, ajustés et joints à merveille. Tout l’hôtel est d’ailleurs fait pour plaire. C’est la vieille auberge, la vieille cour et la vieille cuisine, des perdrix et des lièvres pendus dans la cage de l’escalier, des meubles massifs et cirés dans la salle obscure où l’âtre rougeoie. Et Mme  Gentil n’est pas moins habile en art culinaire que M. Gentil dans l’art du bois. Elle dirige avec autorité plusieurs aides, surveille une armée de casseroles et de coquilles qui mijotent sur le vaste fourneau. Elle est secondée d’ailleurs fort bien par