Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 08.djvu/245

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appartenant aux seigneurs de Dinan ; que Guillaume le Conquérant l’assiégea inutilement en 1075 ; que les Anglais s’en emparèrent en 1164 ; qu’en 1204, Jean sans Terre dut la livrer à Guy de Thouars ; qu’elle se rallia au xvie siècle à Mercœur, chef de la Ligue ; qu’en 1758, les Anglais, débarqués à Cancale, s’en emparèrent ; que les Vendéens y battirent les républicains en 1793.

Avant d’entrer à Dol, à 2 kilomètres environ, je vois se dresser la célèbre pierre du Champ-Dolent, menhir surmonté d’une croix, haut de 16 mètres, dont 7 mètres sont enfoncés dans le sol, et de 9 mètres de circonférence. Autrefois, ce n’était pas un christ en croix, mais une croix, la lance et l’éponge, qui étaient à la pointe du menhir.

J’aborde la ville par la cathédrale, placée un peu en dehors, magnifique bloc du xiiie siècle, flanqué de tours épaisses, fleuri de gothique. L’une de ces tours, qui n’a pas été terminée, semble un rocher usé par le temps. Tous les détails de ce colosse trapu sont délicieux : les moulures dentelées et les ouvertures en accolades, la balustrade en quatre feuilles d’une troisième tour qui domine le carré central. L’aspect est d’une sévérité imposante, surtout du côté nord, où les chapelles sont surmontées d’un parapet qui les reliait aux anciens remparts. Les fenêtres, surmontées de rosaces, s’ouvrent sur un paysage qui va jusqu’à la mer. Le côté sud regarde le marais et la plaine. À l’extrémité du transept s’ouvre le grand porche qui encadre la porte épiscopale. Les voussures, aujourd’hui mutilées et nues, étaient garnies d’ornements et de statuettes qui ont disparu à l’époque de la Révolution. Le petit porche est divisé en deux parties par une colonnade. À l’intérieur : une nef de 100 mètres de longueur, supportée par des piliers cylindriques garnis de colonnes annelées ; un transept de 39 mètres de large ; un arc de nef haut de 21 mètres ; neuf chapelles latérales groupées autour du chœur. Stendhal, dans les Mémoires d’un Touriste, a dit son admiration pour ce monument de Dol : « C’est le plus bel exemple du style gothique quand il était encore simple. Suivant moi, l’église de Dol ressemble tout à fait à la fameuse cathédrale de Salisbury. Je la comparerais encore, non pour la forme, mais sous le rapport de l’élégance et de l’effet produit sur l’âme du spectateur, à ce joli temple antique qu’à Rome on appelle Sainte-Sabine… Le chœur est orné avec beaucoup plus de richesse que la nef ; l’architecte y a pratiqué une foule d’ouvertures ; il voulait lui donner une apparence d’extraordinaire légèreté, et surtout attirer l’œil des fidèles par une grande clarté. Plus on étudie les parties de ce chœur, plus on se sent charmé de sa rare élégance. Bientôt, dans cette église, de l’admiration on passe à l’enthousiasme, et si l’on en excepte la façade, la cathédrale de Dol me semble un des ouvrages les plus parfaits que l’architecture gothique puisse offrir à notre admiration. Je croirais que vers le milieu du xiiie siècle le même architecte dirigea la construction de tout l’édifice. Et mon patriotisme n’ira point jusqu’à cacher que la tradition répandue en Bretagne attribue à des architectes anglais la construction des principales églises de cette province. » J’ajoute qu’aux deux transepts, sont de vastes baies ornées de verrières du xiiie siècle, scènes du Jugement dernier, épisodes de l’Ancien Testament, vie de saint Samson ; un maître-autel de 1744 ; un monument à la mémoire de Thomas James, évêque de Dol, mort en 1503, sculpté par Justus, qui sculpta aussi le tombeau de Louis XII, à Saint-Denis. Telle est, en une vision sommaire, avec un certificat de Stendhal, la cathédrale de Dol.


(À suivre.) Gustave Geffroy.



SOUPIÈRE EN FAÏENCE, MUSÉE DE RENNES.