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table, l’église Saint-Sauveur où gît son cœur dans un sarcophage de granit. L’Hôtel de Ville est récent, il a remplacé, en 1822, un ancien hôpital. Il abrite la bibliothèque et le musée, qui ne contient pas d’œuvres d’art extraordinaires, et qui expose des clefs forgées par Louis XVI et la giberne de la Tour-d’Auvergne.

Non loin de Dinan, les ruines du château de Léhon, tout enveloppées de lierre, se dressent sur une hauteur abrupte. Il existait autrefois à Saint-Léhon une coutume qui forçait les nouveaux mariés, le second jour de la Pentecôte, à rompre une perche contre l’écusson du monastère. On appelait cette promenade, ou corvée, courir la quintaine. Lorsque la formalité était accomplie, l’époux conduisait devant le père prieur sa femme qui dansait un pas au son du biniou et chantait le refrain suivant :

Si je suis mariée, vous le savez bien ;
Si je suis mal à l’aise, vous n’en savez rien ;
Ma chanson est dite, je ne vous dois plus rien.

Cette cérémonie avait lieu en présence du sénéchal et des officiers. L’un de ceux-ci répliquait : « Vous devez encore à Monseigneur honneur, respect et l’accolée. » La mariée s’approcha alors du prieur et l’embrassait.

À 24 kilomètres de Dinan, sur les rives de l’Arguenon, le bourg de Jugon est bâti dans le voisinage de deux étangs, dont l’un est le plus grand de la Bretagne. Dans ces parages, se dressait jadis le château des seigneurs de Dinan, descendants d’Olivier l’Ancien, fils de Geffroi, lequel consacra une grande partie de ses richesses à des fondations pieuses. On disait de cette forteresse qui fut démantelée au xviie siècle : « Qui a Bretagne sans Jugon, a la chape sans le chaperon. »

C’est également de Dinan que l’on peut aller, à 8 kilomètres, sur le territoire de Plesder, visiter la Chênaie, où vécut Lamennais. C’est là, dans cette maison blanche où conduit une large allée bordée de châtaigniers et de sapins, que Lamennais, né à Saint-Malo en 1782, a été élevé, c’est là qu’il a écrit les Paroles d’un croyant, qu’il s’est réfugié, qu’il a tenté de grouper des amitiés autour de son inquiétude : Montalembert, Lacordaire, Berryer, Liszt, Maurice de Guérin, Gerbet. Il quitta la Chênaie en 1836 pour n’y plus revenir, se jetant dans la mêlée de Paris, où il mourut en 1854, après avoir dit sa volonté d’être enterré dans la fosse commune, décision aussi orgueilleuse que celle de Chateaubriand choisissant sa tombe sur un rocher, au milieu de la mer. « Âme forte et esprit étroit, dit Renan, il ne conçut le monde que d’une seule manière. » À la Chênaie, Lamennais se révèle breton : breton par ses origines, né dans l’orage, attiré par la tempête de l’action ; breton par le caractère de sa foi, aux prises avec le siècle, par le caractère de sa révolte, par le don des images, la richesse de vision intérieure. Il est un voyant halluciné plus qu’un peintre. Il est ossianique et biblique. Il est une grande voix irritée, où il y a les forêts, les grèves et les flots de l’Armorique. Et autant que par des paysages de mots, il s’exprime par des actes, par une croyance vivante et changeante, par une obstination qui change d’objet et garde sa force farouche. Et sa conception d’un manichéisme chrétien, dans son livre d’Amschaspands et Darvands, d’une puissance satanique en lutte avec les volontés du bien, n’est-elle pas l’expression en morale de cette nature bretonne extraordinairement homogène, de pierre granitique, écrasée sous l’orage du ciel, tordue et mordue par la mer ?


(À suivre.) Gustave Geffroy.



LE TOMBEAU DE CHATEAUBRIAND.