Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 08.djvu/263

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enfeu du xve siècle. Tout cela, et les belles colonnes massives, est en accord avec les femmes qui entrent et qui sortent, la tête enveloppée de coiffes aux brides relevées, les épaules couvertes d’un petit châle retenu à la taille. L’autre église de Saint-Brieuc ne vaut guère un arrêt ; mais une nouvelle promenade en ville m’amène devant une série de maisons historiques : celle de la rue Saint-Jacques, habitée autrefois par la famille Doublet, qui installa à Saint-Brieuc la première imprimerie ; celle du monstre Guy Eder, qui assassinait les jeunes filles et leur ouvrait le ventre pour se chauffer les pieds ; l’ancien hôtel des ducs de Bretagne ; l’hôtel des ducs de Rohan, forteresse autant qu’habitation ; le palais épiscopal, autrefois manoir de Quiquengrogne. Et sur de nombreuses murailles, des vieilles sculptures, des ornementations qui posent au passant des points d’interrogation, éveillent sa curiosité de légendes. On raconte que, « dans le temps », le jour de la Saint-Jean-Baptiste, on pratiquait à Saint-Brieuc la cérémonie des grenouilles : un habitant de la rue Ménault allait frapper avec un bâton l’eau du ruisseau en criant : « Grenouilles, mes amies, Monsieur dort, laissez dormir Monsieur. » Cette petite comédie se passait en présence de l’évêque et d’un fonctionnaire de la ville, et le crieur obtenait la faveur de blasonner la façade de sa maison. Le droit de quintaine n’était pas une coutume moins singulière : le lundi de Pâques, on élevait, place du Pilori, une statue de bois figurant un Jacquemart, et les pêcheurs, munis de bâtons, devaient, en courant, frapper le bonhomme porteur de trique. Si le coup était maladroitement lancé, la trique venait atteindre le poissonnier qui, en plus du coup reçu, était condamné à payer trois livres quatre sols.

Que l’on continue la route par la côte, rocheuse et pittoresque, ou que l’on descende de Saint-Brieuc par la route à pic qui traverse d’admirables paysages de collines ombragées d’arbres ou percées de rochers, on arrive à Binic en passant par Pordic. Binic est un petit port de pêche qui arme pour Terre-Neuve depuis le commencement du xviie siècle. C’est aux marins de Binic qu’est due une préparation spéciale de la morue, dite « bénicasser ». Le maître-autel de l’église a été acheté avec le produit de la pêche faite le dimanche à Terre-Neuve. Après Binic, Étables. Après Étables, Portrieux, commune qui avait le titre de ville avant 1789. Son port, où stationne un garde-pêche, est fermé par une jetée construite en 1726 et remise à neuf un siècle plus tard. La rade qui lui fait face a une étendue de 5 kilomètres ; c’est de là que partirent, en 1612, en même temps que ceux de Binic, les premiers bâtiments armés pour la pêche de Terre-Neuve. Et là encore, chaque année, le dimanche qui suit la première grande marée, se réunissent les bâtiments de pêche de Saint-Brieuc et de toute la baie, avant le départ pour Terre-Neuve. Les quais servent à l’embarquement du bétail exporté. Des bateaux partent pour l’Angleterre, pour Jersey ; des parties de plaisir s’organisent pour Paimpol et Bréhat. J’ai fait ces excursions, et bien d’autres, pendant des semaines d’été passées à Portrieux, ou tout près, à Saint-Quay. C’est de là que je suis allé à Pontrieux, vers les beaux ombrages, la large rivière du Trieux, le clocher à jours et le léger pont suspendu de Lézardrieux. Mais je veux d’abord fixer un de mes meilleurs souvenirs de mer et d’activité physique, celui de la pêche faite aux îles devant Portrieux.

INTÉRIEUR DE L’ÉGLISE DE LAMBALLE.

Au matin, à l’heure de la marée, le pêcheur vint me chercher avec les amis chez lesquels j’habitais, pour aller pêcher « aux îles ». Les îles sont des amas de rochers inhabités que l’on voit à peine émerger au-dessus des hautes mers, en face Portrieux, et qui se découvrent à marée basse en une infinité de petites déchiquetures, de criques, de minuscules plages de sable fin. C’est un haut plateau que la mer abandonne, chaque jour, pendant quelques