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davres venaient encore redoubler l’horreur de cette malheureuse catastrophe ! Quarante furent enterrés dans une seule et même fosse, à Saint-Gilles, hauteur dominant Châtelaudren. »

Françoise Nabucez ajoute : « À cette époque il existait une mine d’argent à Rue-Bourgée et au moulin Duval, distant de la ville de 2 kilomètres environ ; diverses pièces de bois et autres matériaux provenant de cette exploitation, emportés par la force des eaux, heurtant la chaussée, la rompirent. — Enfin, l’eau ayant disparu, huit jours après tout était rentré dans son état naturel : seulement, la découverte de nombreux cadavres venait de nouveau augmenter la consternation générale. — Toute la population alla en actions de grâces à Notre-Dame-de-Bon-Secours à Guingamp, accompagnée de M. Carlis, recteur de la paroisse, et de son vicaire. — La procession de Châtelaudren, ayant rejoint le clergé de Guingamp qui venait au-devant d’elle, les louanges augmentèrent, et des larmes de commisération furent répandues de part et d’autre… À la suite de cette catastrophe, la ville se trouva dans une telle pénurie, qu’on fut obligé d’y envoyer de Saint-Brieuc trente lits et différents autres objets de première nécessité. La chapelle de l’hôpital fut emportée, et l’église Saint-Magloire fortement endommagée par les eaux. »

Cette inondation, c’est le grand souvenir historique de Châtelaudren. Ses monuments, qui sont humbles, valent par quelques curiosités. Notre-Dame du Tertre, ornée de peintures du xve siècle, garde un retable restauré. À quelque distance du bourg, l’ancien prieuré de Saint-Magloire, construit par des Templiers en un mélange de style ogival et d’ornements gothiques arabes, a également son retable sculpté par Corlay.

De Châtelaudren, je vais en voiture à Tréguier, refaisant des chemins déjà parcourus, remontant le Leff, coupant le Trieux, atteignant le Jaudy, qui devient, avec le Guindy, la rivière de Tréguier, large et fière comme un fleuve.

COIFFE DE TRÉGUIER.

Tréguier, en amphithéâtre sur une pente inclinée vers un port, n’est plus la ville épiscopale d’autrefois, ni la capitale que saint Tugdual et ses successeurs gouvernaient avec le titre de comte, sous l’autorité des ducs.

Ce n’est pas davantage la ville qui jouissait du privilège de donner asile aux malfaiteurs sur une étendue de deux myriamètres. Les conscrits n’y attaquent plus, comme ils le firent, les fonctionnaires chargés de présider au tirage au sort. Tréguier est encore la ville du cloître et de la cathédrale, et c’est aussi le carrefour où s’échangent les produits de la région, grains, farines, bois, fruits, chanvre, fil, beurre, bestiaux, cuirs, contre les produits des industries voisines. Le cloître est un des plus beaux et des plus vastes de Bretagne et de France. Il occupe, contre la cathédrale à laquelle il est relié, entre le transept et le chœur, l’emplacement d’un autre ancien cloître où la légende place les miracles de saint Yves. C’est un beau rectangle à quarante-huit arcades de forme ogivale, en granit. Sa première pierre a été scellée en 1461 par l’évêque Jean de Coëtquis, et l’édifice achevé en 1479, sous l’épiscopat de Christophe du Châtel. À l’intérieur, d’importants personnages dressent dans le silence, parmi les herbes folles, leurs statues revêtues d’habits sacerdotaux et de costumes guerriers. La cathédrale, commencée en 1339 sous Richard du Poirier, en remplacement de l’ancienne, qui « estoit fort caduque, petite, bastie à l’antique, mal percée, obscure et doublée de simples lambris », a la forme d’une croix latine, est dominée par trois tours dont l’une est surmontée d’une flèche de 63 mètres de hauteur. À l’intérieur, le dallage est fait d’une réunion de pierres tombales aux inscriptions effacées ; la nef, éclairée par soixante-huit fenêtres, est séparée des bas-côtés par douze piliers d’où s’élancent les arcades ogivales ; le chœur, orné d’un double rang de stalles sculptées, est entouré de douze chapelles ; le maître-autel est en bois sculpté. Dans les enfeus des bas-côtés, plusieurs tombeaux, parmi lesquels celui de saint Yves. Tréguier est la ville d’un séminaire, fondé avant 1574, restauré vers 1658 par l’évêque Grangier, lequel en confia la direction à des missionnaires de saint Vincent de Paul, désaffecté en 1791, et rendu à sa